Libération

Ô saisons, ô chateaux

- Benjamin Simmenauer Professeur à l’Institut français de la mode

Il était une fois Chanel à Chenonceau, Celine à Chambord, Dior à Sammezzano : pour la saison 20202021, les maisons vont aux châteaux (fermés). Le vestiaire présenté s’aligne sur le décor : fraises, capes et hennins chez Chanel ; collerette­s, pourpoints et bottes d’équitation chez Celine ; et chez Dior, manteaux de cour, velours et soies lamées. Partout, la même abondance de motifs, bijoux et broderies. Quel est le sens de ces collection­s enluminées ? Il y a deux interpréta­tions. Première hypothèse : on a sorti la carte «héritage». C’est ce qu’indiquent les inspiratio­ns des défilés : le tarot Visconti-Sforza conçu pour les ducs de Milan au XVe siècle (Dior), François Ier (Celine) et Catherine de Médicis (Chanel). Que le luxe d’aujourd’hui ressuscite, en images et symboles, l’Ancien Régime ne doit pas surprendre : le luxe se définit par un mode de vie et un idéal aristocrat­ique que les clients recherchen­t, peut-être inconsciem­ment. Mais ce n’est pas nouveau – voir les films Dior à Versailles, les défilés Vuitton au Louvre, etc. Seconde hypothèse: nous sommes à nouveau à la fin du Moyen Age. Ce n’est pas la première fois, les romantique­s déjà voyaient l’ombre du monde médiéval couvrir leur XIXe siècle. Le retour du refoulé médiéval arrive quand on se met à douter de la raison.

Ce que la mode nous montre, ce n’est pas notre passé, mais un possible futur proche : la Renaissanc­e. Et elle le fait grâce à une merveilleu­se translatio­n des vestiaires, par laquelle le legging se fait chausse, le hoodie «capuce» de moines, le logo armoiries, et la veste à sequins cotte de mailles.

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