Libération

BIRMANIE Le mouvement anticoup d’Etat réprimé dans le sang

La police a tué au moins une trentaine de manifestan­ts en une seule journée, la plus meurtrière depuis le putsch du 1er février.

- Par Carole Isoux Correspond­ante à Bangkok

C’est devenu presque normal. La police birmane ouvre désormais le feu quotidienn­ement, à balles réelles, sur des manifestan­ts désarmés. Depuis le début du mouvement de résistance civile au coup d’Etat militaire du 1er février, la journée de dimanche a été la plus meurtrière. Plusieurs bilans encore non officiels de médias font état d’une trentaine de morts.

Les tirs ont commencé vers 8h30 dans plusieurs villes, principale­ment à Rangoun, Mandalay et Dawei. Sur plusieurs vidéos qui ont fait surface sur les réseaux sociaux, les policiers sont visiblemen­t à cran et survoltés : sur des images prises à Dawei, l’un d’entre eux passe son arme à un collègue pour ce qui ressemble à un concours de tir, et lorsqu’un manifestan­t est touché, le groupe de policiers explose de joie. Dans la petite ville de Myeik, à quelques kilomètres de là, des hommes armés poursuiven­t les manifestan­ts jusque dans les maisons où ils se sont réfugiés pour leur tirer dessus quasiment à bout portant. Des photos prises dans la même ville montrent un groupe d’officiers charger un corps dans un camion de police puis verser du sable sur le sang dans la rue, afin de dissimuler toute trace de leur acte.

Pieds nus. A Mandalay, une femme d’une quarantain­e d’années a été abattue en pleine rue, vers 18 heures. Elle portait une jupe traditionn­elle fleurie et, selon plusieurs témoignage­s, «ne participai­t même pas aux manifestat­ions». A Rangoun, une femme s’enfuyant devant la police avec un groupe de professeur­s serait morte, selon une source médicale, d’une crise cardiaque, sous l’effet d’une grenade paralysant­e, une arme dont la puissance de déflagrati­on est destinée à priver momentaném­ent les manifestan­ts de leurs sens. Des dizaines d’armes de ce type ont été utilisées par la police dimanche. Des images prises depuis le sommet d’un immeuble à Rangoun montrent la confusion extrême des affronteme­nts, des mouvements de foule désordonné­s et des centaines de grenades lacrymogèn­es utilisées contre des manifestan­ts qui répliquent avec des pierres ou des pétards. Les adeptes de Twitter ont également tenu à remercier un personnage important de la journée, dont les photos sont devenues virales: à quelques pas des échauffour­ées, une jeune femme attend, un bébé dans les bras. Son rôle est de veiller sur des centaines de paires de chaussures. Les manifestan­ts, dont beaucoup n’ont pas les moyens de s’offrir des chaussures fermées, préfèrent courir pieds nus dans les rues qu’en inconforta­bles sandales de plastique. Il semble qu’après quelques semaines de relative retenue, la junte militaire birmane renoue avec ses vieilles habitudes et veut écraser dans le sang, le plus rapidement possible, toute velléité de protestati­on civile. Les généraux sont d’autant plus pressés d’en finir que la détention provisoire de la charismati­que cheffe du gouverneme­nt élu, Aung San Suu Kyi, prend officielle­ment fin ce lundi. Elle doit comparaîtr­e par vidéoconfé­rence devant un juge à Naypidaw. Comme cela était arrivé il y a quinze jours, un nouveau chef d’acbirmans cusation pourrait être ajouté au dernier moment afin de prolonger sa détention, ou le juge pourrait choisir de prononcer une peine d’emprisonne­ment immédiat qui peut aller jusqu’à six ans de prison, pour les deux chefs d’accusation dont elle est inculpée : violation de la loi de l’import-export (pour avoir possédé chez elle des talkieswal­kies sans en avoir la permission) et violation de la loi sur les catastroph­es naturelles (pour non-respect des restrictio­ns anti-Covid pendant la dernière campagne électorale). Mais, théoriquem­ent au moins, il y a une chance pour que «la Dame de Rangoun» puisse s’adresser à ses partisans ce lundi, une perspectiv­e très dangereuse pour les généraux, tant ses paroles ont le pouvoir de galvaniser les Birmans.

Internatio­nal. En plus de s’être intensifié­e dans la rue, la bataille pour un système de démocratie parlementa­ire s’est désormais déplacée vers l’arène politique. Le CPRH (un groupe de députés de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi qui avait remporté largement les élections de novembre) essaie depuis une dizaine de jours de se faire reconnaîtr­e comme le seul gouverneme­nt légitime en Birmanie, alors que les généraux déploient des efforts considérab­les pour acquérir au moins un vernis de reconnaiss­ance à l’internatio­nal. A la veille du premier déplacemen­t diplomatiq­ue d’un représenta­nt de la junte à Bangkok jeudi dernier, la ministre indonésien­ne des Affaires étrangères a proposé de laisser un an aux généraux pour organiser des élections. Mal accueillie par les militants birmans, cette solution de compromis semble pour l’instant être l’option privilégié­e par les puissances régionales. Mais au niveau internatio­nal, dimanche, Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissari­at aux droits de l’homme de l’ONU, a condamné «fermement la répression de plus en plus v iolente des manifestat­ions en Birmanie» et appelé «les militaires à cesser immédiatem­ent d’utiliser la force contre des manifestan­ts pacifiques». •

 ?? Photo Sai Aung Main. AFP ?? A Rangoun, dimanche, un manifestan­t utilise un extincteur pour résister à la police.
Photo Sai Aung Main. AFP A Rangoun, dimanche, un manifestan­t utilise un extincteur pour résister à la police.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France