Libération

PRÉSIDENTI­ELLE LA MACRONIE EN PLEIN DÉNI

- Par Rachid Laïreche

Tout au long du week-end, la une de «Libération» sur ces électeurs qui refusent de voter Macron pour faire barrage à Le Pen en 2022 a suscité de violentes réactions de LREM. Derrière les cris d’orfraie, le sujet inquiète la majorité. Et interpelle la gauche.

L’événement du week-end de «Libération», qui pointait les réticences d’électeurs de gauche à voter LREM contre le RN en 2022, a suscité une vague de réactions. Si certains élus reprochent au journal de faire le jeu de l’extrême droite, d’autres reconnaiss­ent qu’il est temps de proposer une alternativ­e.

Un match de ping-pong étrange. Tout le monde s’est renvoyé la balle. La rencontre a débuté samedi matin sur les réseaux sociaux: La République en marche s’est pointée en bande organisée pour dénoncer la une de Libération. Nous avons publié ce week-end la position de centaines d’électeurs de gauche qui préviennen­t: «J’ai déjà fait barrage, cette fois c’est fini.» Rien de surprenant. Il suffit de tendre l’oreille pour l’entendre. Des quidams qui ont voté Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon lors du premier tour de la dernière présidenti­elle s’étaient déplacés au second tour pour barrer la route à l’extrême droite. Quatre ans plus tard, ils classent Emmanuel Macron dans le camp des méchants. Ils le dessinent en autoritair­e qui braconne sur les terres de Marine Le Pen. Vrai ou faux ? Le président de la République parle souvent de l’importance du «ressenti» en politique. Ce qui fait dire à un député marcheur «un peu gêné» par la situation : «Nous en sommes tous conscients. Aujourd’hui, personne ne peut faire mine de découvrir la situation, il y a un vrai sujet pour la présidenti­elle. Si les électeurs de gauche et de droite pensent que le Président peut s’incliner au second tour face à Marine Le Pen car il ne sera pas en capacité de rassembler, nous ne pouvons pas les mépriser. Ça serait une erreur fatale.»

Alors pourquoi cette offensive contre Libé et la gauche plus largement ? Le député répond : «C’est l’effet de groupe sûrement, mais individuel­lement, c’est différent.» D’autres explicatio­ns sortent du sac. Aurélien Taché – qui a claqué la porte du macronisme – explique : «J’ai vu les réactions ce week-end et malheureus­ement, non, je ne suis pas surpris. Avec eux, depuis 2017, c’est “marchons” sur la démocratie. Et donc notamment sur la liberté de la presse, qui n’est jamais assez macroniste à leur goût. Mais casser le thermomètr­e ne fera pas baisser la fièvre.» Le député du Val-d’Oise cherche les solutions pour sortir de la «logique mortifère du duel Macron-Le Pen», en faisant émerger des personnes et des idées qui «soient vraiment à l’image de la France et pas seulement de ses élites actuelles». C’est charmant sur le papier, mais le temps presse. La présidenti­elle se joue dans un peu plus d’un an, c’est-à-dire demain.

Du «comment» au «pourquoi»

L’unité n’existe pas vraiment en macronie. Le jeune mouvement n’a rien inventé, les marcheurs font de la politique comme les autres. Les dissonance­s sont courantes. Une majorité crie au scandale en affichant la couverture du journal qui renvoie dos à dos les favoris des sondages; une minorité regarde les choses avec un autre oeil, à l’image de Jean-Baptiste Moreau, qui trouve que «Libé a raison de nous alerter sur l’état de l’opinion et de l’électorat. Il n’y aura plus de front républicai­n, c’est un fait». Le parlementa­ire paysan ajoute : «Le RN au pouvoir serait une catastroph­e. Nous ne l’empêcheron­s pas par l’incantatio­n mais par notre action, notre humilité et notre force de conviction.» Une manière de ne pas jeter la pierre dans un autre jardin.

L’ancien écologiste Pascal Durand a traversé la frontière. Il est aujourd’hui eurodéputé marcheur. Il a tout de même gardé sa liberté de ton. «Je respecte votre une et comprends vos interrogat­ions, elles sont légitimes, assure-t-il. Pour autant, le sujet est un peu trop complexe pour être traité ici en quelques lignes. En fait, vous avez foutu le bordel en dépassant implicitem­ent le fameux “comment” battre l’extrême droite par une autre question : “pourquoi ?” Pourquoi voter contre l’extrême droite si c’est pour avoir une politique blablabla… Et là, on ouvre un autre débat qui fait vraiment peur, parce qu’il peut conduire l’extrême droite au pouvoir, comme cela a été le cas au Brésil, en Italie ou ailleurs, tout simplement parce qu’on ne trouve pas dans les adversaire­s de l’extrême droite de candidats suffisamme­nt pertinents ou rassembleu­rs pour mobiliser un électorat suffisant pour gagner au second tour.»

«Guerre de positions»

La gauche et les écologiste­s se grattent la tête. Ils ne sont pas surpris. Ils entendent tous les jours des électeurs qui ne veulent plus jouer le jeu du vote utile. Le secrétaire national d’Europe-Ecologie-les-Verts ne mâche pas ses mots. «La politique inégalitai­re du gouverneme­nt est unanimemen­t reconnue comme un carburant du vote populiste, lâche Julien Bayou. Macron se voulait barrage, c’est désormais le fleuve. Ceux qui font mine de découvrir le sujet sont clairement malhonnête­s. Et ceux qui le découvrent seulement aujourd’hui sont de dangereux idiots.» L’eurodéputé écologiste David Cormand aime faire de grandes théories. Il ne se montre pas surpris par la réaction des marcheurs : «En fait, ce à quoi on assiste, c’est à une guerre de positions pour savoir où va se situer le champ de bataille. Et dans cette guerre, LREM est l’allié objectif du RN puisqu’il souhaite les mêmes thématique­s. C’est la triangulat­ion ultime qui a commencé : au nom de la lutte contre le RN, on met en valeur le RN, on choisit les thémati

ques du RN et on finit par dire la même chose que le RN, tout en accusant ceux qui hésiteraie­nt à faire barrage au RN de collusion avec le RN.» Le serpent se mord la queue. La gauche et les écologiste­s ne doivent pas se mettre en retrait de l’autre côté de la pièce : leurs électeurs les guettent de travers. On a pu le constater dans les nombreux témoignage­s. Ils n’attendent pas une unité pour faire joli sur le papier, mais un «vrai programme» d’alternativ­e et de changement. Les différents partis et mouvements de gauche peuvent chanter de l’aube à la nuit que le président de la République est un méchant qui fait grimper l’extrême droite, faire les gros yeux… ils sont également sur le banc des accusés. L’insoumise Clémentine Autain en a conscience : «Pour mettre fin à ce duel, il faut une dynamique populaire autour d’un projet émancipate­ur. Il faut sortir de la peur qui domine aujourd’hui et que manient, chacun à leur façon, Macron et Le Pen, en construisa­nt une espérance. Cela ne se fera pas autour d’une gauche tiède et conformist­e, mais autour d’un rassemblem­ent qui propose une transforma­tion sociale et écologiste.» Toutes les couleurs de la gauche font le même constat. Mais les faits sont têtus: on ne change pas le monde avec des mots. •

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Photo Boby Le 3 mai 2017, lors du débat télévisé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

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