Libération

Quand la macronie a mal à sa jambe gauche

La violence des réactions du camp présidenti­el à la une de «Libé» est un aveu de faiblesse. La droitisati­on assumée du gouverneme­nt a privé la majorité d’assise à gauche.

- Lilian Alemagna

C’était tout début février. Un des hauts responsabl­es de la majorité, l’un de ceux qui dînent toutes les semaines à l’Elysée avec Emmanuel Macron, ses proches conseiller­s, Jean Castex et les ministres de premier plan, lâche à quelques journalist­es: «On a un problème de second tour.» A l’époque, de premiers sondages présidenti­els – qui ne valent pourtant pas grand-chose à plus d’un an de l’échéance – donnent une avance confortabl­e au Président au premier tour mais un écart très faible, dans la marge d’erreur, avec Marine Le Pen en cas de revanche du second tour de 2017. «Si 40 % de l’électorat s’abstient au second tour, c’est un sujet politique pour nous», souligne ce macroniste qui, lucide, fait le constat que «la base» du Rassemblem­ent national «n’a pas reculé», que «le populisme en France est puissant», qu’il «a des relais». «Les mauvais reports. Ça m’inquiète et ça me met en colère», balance en coulisse, la même semaine que ce responsabl­e de la majorité, un ministre issu du Parti socialiste. Un autre pilier de la macronie, lui aussi issu de la gauche: «Je ne crois pas au scénario “moi ou le chaos”. C’est dangereux : le premier tour sera morcelé et s’il n’y a pas d’envie, on va subir. Au second tour, si on se retrouve face à une coalition des gens en colère, avec une abstention importante, on peut perdre.»

Thermomètr­e. Plusieurs semaines avant l’enquête de Libération basée sur des témoignage­s recueillis durant plus d’une semaine via notre site internet, une partie de la macronie, notamment la «jambe gauche» de cette majorité, était donc bien loin des outrances de plusieurs députés LREM distillées tout le week-end sur les réseaux sociaux. Ces parlementa­ires et membres du gouverneme­nt préférant s’en prendre au thermomètr­e plutôt que de remettre en question une partie de la politique menée depuis le début du quinquenna­t et l’absence de «marqueurs» de gauche.

Pourquoi cette véhémence ? Parce que cet hémisphère gauche de la macronie est censé garantir au Président qu’il gardera son «socle social-démocrate» en 2022 à défaut de pouvoir l’élargir. «L’électorat social-démocrate est toujours là, disait ce même haut responsabl­e. Quand le total gauche est à 22 %, le centre gauche n’est ni chez Bertrand ni chez Marine Le Pen. Il est chez Emmanuel Macron. Il faut le tenir.» Or, si aujourd’hui, en l’absence d’offre politique concurrent­e sur ce segment politique, ce socle semble tenir, qu’en sera-t-il si Anne Hidalgo et (ou) Yannick Jadot, avec des profils bien plus centristes que radicaux, réussissen­t leur lancement de campagne à l’automne et arrivent à grignoter un électorat centriste que le camp présidenti­el pensait acquis?

«Poutre». «J’ai déjà fait barrage, cette fois

c’est fini» : la forte réaction des grognards de la macronie contre cette une de Libé est proportion­nelle à sa faiblesse politique. Macron a fait le pari de bloquer toute résurgence politique à droite. Reprenant à son compte l’expression de son ex-Premier ministre Edouard Philippe, le chef de l’Etat a fait le choix stratégiqu­e, en vue de 2022, de «faire travailler la poutre à droite» et non de consolider son socle de gauche, qu’il considère comme acquis. Pour cela, il a nommé à Matignon un ancien conseiller de Xavier Bertrand et Nicolas Sarkozy, et placé Gérald Darmanin à l’Intérieur. Lequel fait le job qu’on lui demande : offrir la carte de «l’ordre» au jeu du futur présidentc­andidat. Dans la même optique, Macron a laissé Jean-Michel Blanquer à l’Education nationale, lequel utilise sa ministre de tutelle, Frédérique Vidal, pour son combat culturel (de droite) contre les «islamo-gauchistes». Tout comme il a reconduit un autre homme de droite, Bruno Le Maire, à Bercy, gage de sérieux financier, alors que crise du Covid oblige, ce dernier aura été l’argentier le plus dépensier de la Ve République. Et les ministres de gauche ? Jean-Yves Le Drian (Affaires étrangères) s’exprime tous les six mois, sans aucune portée politique. Olivier Véran (Santé) est le ministre du Covid alors qu’il espérait aussi être celui du revenu universel d’activité et de la grande réforme de la dépendance (deux projets au congélateu­r), Olivier Dussopt est cantonné à la gestion des Comptes publics, Elisabeth Borne est beaucoup trop technique (donc inaudible) et va devoir justifier le choix du gouverneme­nt de réduire les droits des chômeurs en pleine crise. Gabriel Attal, comme porte-parole, est «apolitique», comme le dit un ancien titulaire du poste. Clément Beaune (Europe), inconnu. La «jambe gauche» de ce gouverneme­nt manque d’incarnatio­n pour vendre certaines réformes scolaires, sociales et sociétales? «On s’en fout», disait un ministre il y a un mois. Pas tant que ça finalement.

«Si on se retrouve face à une coalition des gens en colère, avec une abstention importante, on peut perdre.» Un ministre issu du PS

Newspapers in French

Newspapers from France