Libération

Olivier Faure : «Macron a choisi l’extrême droite comme son faire-valoir»

Le premier secrétaire du Parti socialiste dénonce la «trahison» par le Président des millions de citoyens qui ont voté pour lui en 2017 pour faire barrage à Le Pen.

- Rachid Laïreche

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, accuse le chef de l’Etat de faire le jeu de l’extrême droite en mettant en scène un «duel». Il espère que la gauche relève la tête à moins d’un an de la présidenti­elle. Beaucoup d’électeurs de gauche annoncent qu’ils ne se déplaceron­t pas en cas de duel entre Macron et Le Pen. Ça vous étonne ? Libé n’a fait que donner de l’écho à ce que j’entends depuis des mois. Des électeurs désabusés, ce n’est pas la première fois. Mais cette fois, la colère est plus puissante, parce que le pouvoir ne s’est pas présenté pour ce qu’il est. Cette fable du «et de gauche et de droite» a amplifié le sentiment de trahison. En prétendant incarner seul le cercle de la raison, en disqualifi­ant le débat parlementa­ire, en contournan­t les corps intermédia­ires, en méprisant les élus locaux, le Président a organisé le débat avec l’extrême droite. Il l’a choisie comme son faire-valoir. Il en fait son argument à chaque scrutin. Il a épuisé le filon et banalisé Marine Le Pen, vécue comme le seul challenger. C’est au bloc social-écologique de se montrer à la hauteur et de bousculer ce scénario. D’où vient cette fracture ?

La trahison. Quand on gagne face à l’extrême droite, on ne peut pas gouverner comme si on avait gagné sur son seul projet. Il faut tenir compte des millions de citoyens qui n’ont voté que pour rejeter l’extrême droite. Nous étions en droit d’espérer que 2017 ne soit pas la réédition de 2002. Or, Emmanuel Macron a fait pire. Il n’a pas cherché à entendre la majorité qui s’est portée sur son nom au second tour. Il n’a fait que renforcer les inégalités et préservé les «premiers de cordée». Il devait rendre la «planète great again». Il ne respecte ni les engagement­s des accords de Paris, ni ceux pris devant la Convention citoyenne. Le Président a inauguré une présidence «jupitérien­ne» : ni les gilets jaunes ni le mouvement contre la réforme des retraites ne lui ont fait prendre conscience qu’il approfondi­ssait les fractures de notre pays. Le candidat se voulait rempart contre l’extrême droite, mais son ministre de l’Intérieur trouve Marine Le Pen «trop molle», les règles d’accueil pour les réfugiés et leurs enfants ont été durcies, la doctrine de maintien de l’ordre n’a pas été révisée après les trop nombreux dérapages de policiers et nous avons échappé de peu à l’interdicti­on pour la presse de filmer dans les manifestat­ions.

Emmanuel Macron est-il le carburant du RN ?

Je l’ai dit il y a deux ans : «Ce n’est pas un rempart, c’est devenu une passerelle». On m’avait reproché la formule. Mais aujourd’hui, les chiffres sont formels : le duel que l’on nous promet est un danger pour notre pays. Quand le gouverneme­nt relance sa réforme meurtrière de l’assurance chômage en pleine crise, renvoie à une réforme des retraites pour rembourser la dette, je me demande ce qui le traverse. Il faudrait épargner les grandes fortunes et la grande distributi­on… En revanche réduire les droits des victimes de la crise, pas de problème ! Au premier rang de ces futurs recalés de l’assurance chômage, il y a les plus jeunes à qui le pouvoir refuse un «minimum jeunesse», comme nous l’avons proposé au Parlement. Dans les témoignage­s que Libé a reçus, des électeurs pointent le quinquenna­t Hollande… Contrairem­ent à toutes les formations qui ont perdu en 2017, le Parti socialiste a été le seul à accepter de regarder courageuse­ment sa défaite en face. En en prenant la responsabi­lité d’un inventaire, je ne me suis pas fait que des amis. A l’inverse, Manuel Valls a eu la même tentation que Macron : dramatiser en présentant un RN «aux portes du pouvoir» pour étouffer les offres alternativ­es et tenter d’être le seul «recours». Je considère que si nous en sommes à ces niveaux stratosphé­riques de défiance politique, c’est parce que des dirigeants en faiblesse ont trop souvent joué à ce petit jeu du chantage au RN. Aujourd’hui, la gauche est divisée et le risque est de voir se rejouer le duel de la présidenti­elle. Comment sortir du piège ?

Il faut que chacun se regarde dans une glace et se pose cette question simple : si Macron est un mauvais président, si son bilan peut nous conduire à Le Pen, si la pandémie a des conséquenc­es économique­s et sociales en chaîne, si la crise climatique est devant nous, alors la gauche peut-elle encore jouer à cachecache avec elle-même ? Il faut un projet commun parce que ce qui nous sépare ne mérite pas de donner la victoire à Macron ou Le Pen. Il faudra pour le porter et l’incarner une ou un candidat commun: nous devrons choisir la ou le meilleur d’entre nous. En 2022, une troisième absence du second tour de la présidenti­elle en vingt ans conduirait à l’effacement de tout un camp, celui du progrès humain et écologique.

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Le 3 mai 2017. Au soir du débat d’entre deux tours, dans un bar du centre de Paris, avec des soutiens d’Emmanuel Macron.
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