Libération

Nathalie Loiseau : «Dire “on va à la pêche”, c’est une réponse irresponsa­ble»

Pour l’ex-ministre, qui a réagi avec virulence à la une de «Libé», la gauche devrait être capable de se rassembler derrière un candidat ou se résigner à faire barrage.

- Recueilli par Tristan Berteloot

L’ancienne ministre des Affaires européenne­s a été l’une des plus promptes à réagir à la une de Libé sur Twitter. Une des plus virulentes aussi, en accusant une partie de la gauche de «perdre la boussole, renier ses valeurs et espérer le pire».

Des électeurs de gauche assument désormais l’idée de ne pas aller voter en cas de duel Macron-Le Pen. Un commentair­e ? Ce phénomène existe, il ne faut pas le nier. C’est préoccupan­t et il faut en débattre. J’ai réagi sur les réseaux sociaux contre ceux qui ont l’air de dire qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. J’ai envie de leur répondre qu’ils viennent de voir ce que c’était que quatre ans de Trump à la tête des Etats-Unis et qu’ils peuvent essayer d’en tirer des leçons pour éviter cela à leur pays.

Ça, ce sont des choses qu’on leur répète à chaque élection depuis 2002. Et ce qu’ils répondent, eux, c’est qu’on ne les y reprendra plus…

Je constate que ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique de Macron n’ont pas l’air de penser que quelqu’un d’autre pourrait porter leurs aspiration­s au second tour. Ils ne disent pas : «On va se mobiliser, on va essayer d’avoir un candidat qui nous convient.» Si le postulat c’est : «vous n’avez pas réussi à avoir quelqu’un dont vous vous sentez proche au second tour», et que la réponse c’est : «on va à la pêche», alors c’est une réponse irresponsa­ble.

Dites, c’est pas un peu gros de culpabilis­er les électeurs ?

Vous voulez que je félicite ceux qui disent qu’ils ne feront rien pour empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir ? Vous voulez que je leur dise que c’est formidable ?

Le gouverneme­nt a-t-il assez parlé à la gauche ?

A l’évidence, des gens qui s’identifien­t de gauche assurent ne pas faire la différence entre l’extrême droite et la majorité. Je ne suis pas dans leur tête, mais je pense qu’on est dans une période de perte de repères, où sont mises sur le même niveau vérités et contre-vérités, paroles sensées et paroles folles… S’adresser à l’électorat de Le Pen, parler aux médias qui font la promotion de ses idées, débattre avec le RN, n’est-ce pas cela, se mettre au même niveau que l’extrême droite ?

Il y a des médias dans lesquels je n’ai pas envie d’aller. Les deux comporteme­nts se défendent. Quand on est le Président, on s’adresse à tous les Français. Ce n’est pas parce qu’on le fait dans un média qu’on tient le même discours que ce média. Quand les électeurs de gauche citent les cadeaux aux riches, la réponse autoritair­e aux gilets jaunes, le 49.3… Ce ne sont pas des choses qui leur font dire qu’ils ont eu raison de voter Macron. Vous pouvez être en désaccord avec des aspects de la politique de la majorité, on ne sera pas forcément d’accord sur l’analyse. Moi, j’ai vu des gilets jaunes proches de Marine Le Pen. En ce moment, la politique menée par le Président, c’est le «quoi qu’il en coûte», c’est de ne laisser personne au bord du chemin dans la crise. J’aurais beaucoup de mal à qualifier cela de politique de droite. Et cela devrait suffire pour que ces électeurs ne se sentent pas «cocufiés» ? Si leur but, c’est de faire monter un candidat de gauche crédible, je leur dis: «Allez-y!» Aux européenne­s, les opposition­s nous ont accusés d’installer le match avec l’extrême droite. Ils ont dit que cela nous arrangeait.

Que s’est-il passé à la fin ? On s’est retrouvé au coude-à-coude avec l’extrême droite, devant. Où était le reste des partis politiques? Loin derrière. Ils ont fait toute leur campagne en tapant sur le gouverneme­nt. Ça a eu quoi comme résultat? Est-ce qu’ils veulent recommence­r ? Je ne les entends jamais critiquer le RN comme ils le font avec la majorité. Entendez-vous ceux qui disent que Darmanin, qui traite Le Pen de «molle», c’est trop ?

Une phrase d’un ministre dans une interview, c’est trop anecdotiqu­e pour que je la commente. J’entends ceux qui sont de gauche et qui déplorent que pendant trop longtemps on a considéré que l’autorité, c’était de droite. Il y a des problèmes qu’il faut affronter à la manière d’Emmanuel Macron, et pas comme le ferait l’extrême droite. Lutter contre le séparatism­e, ce n’est pas une politique de droite mais une politique pour protéger les Français de dérives extrémiste­s dangereuse­s.

Qu’ont les électeurs de gauche à gagner en votant à nouveau pour Macron ?

Mais ce n’est pas lui ni la majorité qui sont responsabl­es du peu de succès de la droite et de la gauche traditionn­elles! Personne ne trouve de plaisir à devoir lutter contre l’extrême droite. Je préférerai­s bien plus avoir en face de moi des gens de la gauche ou de la droite traditionn­elles. On aurait un débat à un autre niveau. On aurait moins l’impression d’avoir à descendre dans le caniveau pour faire de la politique.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France