Libération

En Amazonie, le peuple juma au bord de la disparitio­n

- Solenne Bertrand

Amoim Aruká était le dernier représenta­nt masculin des Jumas, peuple autochtone de l’Amazonie brésilienn­e. Mais il est mort le 17 février, à l’âge estimé de 86 ans (il n’avait pas d’état civil officiel) des suites du Covid-19. Tout au long de sa vie, il fut le témoin d’une série de massacres réduisant son peuple de 15 000 individus au début du XXe siècle à 5 en 2002. Seules ses trois filles pourront continuer à porter la culture de leur peuple. En fervent défenseur de la préservati­on de la forêt amazonienn­e, Amoim Aruká s’était battu en 2004 pour que le territoire juma obtienne le statut officiel de «terre indigène» (TI), protection reconnue par la Constituti­on. Sa disparitio­n est «un événement tragique», pour les représenta­nts de la Coordinati­on des organisati­ons indigènes de l’Amazonie brésilienn­e (Coiab), qui dénonce un abandon de ces population­s à leur sort. Selon la Coiab, dès juillet, les Jumas devaient faire partie des peuples protégés par des contrôles de la police fédérale ou par des agents de la Fondation nationale de l’Indien pour empêcher l’entrée d’étrangers dans ces territoire­s. «Les peuples autochtone­s avaient fait cette demande pour se préserver de la pandémie», explique Sébastien Rozeaux, maître de conférence­s en histoire à l’université Jean-Jaurès de Toulouse. Si les terres indigènes sont protégées par la Constituti­on de 1988 et sont la propriété du peuple, leurs frontières restent poreuses. Irène Bellier, anthropolo­gue, directrice de recherche au CNRS et vice-présidente du Groupe internatio­nal de travail pour les peuples autochtone­s, relate, dans un article du 20 mai, comment de nombreuses communauté­s ont pris la décision de bloquer l’accès à leur territoire avant même que l’Etat décide de fermer les frontières. Malgré cela, la pandémie les a durement frappées. Avec 250000 morts et plus de 10 millions de contaminat­ions, le Brésil est le deuxième pays le plus endeuillé derrière les Etats-Unis. Si aujourd’hui, les peuples autochtone­s ne représente­nt que 0,4 % de la population, l’Articulati­on des peuples indigènes du Brésil a dénombré, depuis le début de la crise, 973 décès et 50 000 cas d’infections parmi eux.

Ces chiffres s’expliquera­ient par plusieurs facteurs. D’une part, selon Sébastien Rozeaux, ces «communauté­s […] connaissen­t un accès limité aux soins de santé». D’autre part, elles souffrent de l’absence de protection par le gouverneme­nt. Par ailleurs, plaçant la priorité sur le développem­ent économique, de nombreux projets d’exploitati­on minière, pétrolière et agro-industriel­le autorisés par l’Etat ont vu le jour depuis un an «sans aucune consultati­on préalable des peuples concernés», relève Irène Bellier. Les travailleu­rs et trafiquant­s qui profitent de ces activités liées peuvent véhiculer le virus.

Pour Glauber Sezerino, sociologue et coprésiden­t de l’associatio­n Autres Brésils, il y a une «politique voulue d’exterminat­ion» : «Il faut empêcher Bolsonaro de mener sa politique anti-indigénist­e, sinon toutes les population­s autochtone­s risquent de disparaîtr­e.»

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Tarso SARRAF. AFP Un soignant à Melgaço, en mai.

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