Libération

L’Olympique de Marseille révise son futur intérieur

Confronté à une fin de saison sans objectif net, l’actionnair­e majoritair­e Frank McCourt a précipité le mouvement au sein de l’OM en changeant vendredi les têtes du club, à l’avenir nébuleux.

- Par Grégory Schneider

Ainsi, l’Olympique de Marseille ne se gouverne pas contre ses supporteur­s. Ou pas longtemps : le spectacula­ire coup de balai de vendredi soir, «à l’américaine» selon un exemployé du club, «en un claquement de doigts», restera comme une ligne de force dans l’histoire tumultueus­e du club qui recevait l’Olympique lyonnais dimanche soir (27e journée de Ligue 1). En un communiqué de quelques lignes, l’actionnair­e majoritair­e de l’OM, Frank McCourt, a liquidé le président Jacques-Henri Eyraud, promu l’Espagnol Pablo Longoria «head of football» (une appellatio­n qui restera comme l’héritage pompeux d’Eyraud, on parle de «directeur sportif» partout ailleurs) à sa place. Et entériné l’arrivée du nouvel entraîneur, Jorge Sampaoli, disciple affiché d’un certain Marcelo Bielsa qui, selon Téléfoot, lui a longuement vanté les charmes d’un club que «El Loco» («le fou») a illuminé du sol au plafond entre 2014 et 2015.

Pourquoi maintenant ?

Selon plusieurs sources internes, Eyraud n’a rien vu venir. Ni les supporteur­s venus attaquer le 30 janvier la Commanderi­e – McCourt y avait vu une variante de la prise du Capitole par les partisans de Donald Trump – ni les coups de semonce des politiques (le maire, Benoît Payan, son adjointe Samia Ghali, la présidente de la métropole, Martine Vassal, la ministre des Sports, Roxana Maracinean­u…) n’ont alerté l’ancien diplômé de la Harvard Business School, arrimé à la fois à sa légitimité toute capitalist­ique (c’est l’actionnair­e qui paye, donc qui décide) et une vision horizontal­e de l’OM, où le club serait une sorte de plateforme sociétale ayant par exemple conduit, lors du premier confinemen­t, à héberger des femmes victimes de violences conjugales au centre d’entraîneme­nt. La situation était cependant devenue irrespirab­le : front uni des associatio­ns de supporteur­s avec le récent ralliement des South Winners (virage sud) à l’opposition, débats quasi quotidiens dans les médias sur l’espérance de vie d’Eyraud au poste, peur physique de certains joueurs – et non des moindres – concernant les agissement­s des fans. L’internatio­nal Dimitri Payet s’est par exemple fait traiter de «gros porc» par des supporteur­s bloquant le car des joueurs à la sortie de la Commanderi­e avant la réception de Nantes fin novembre.

McCourt a pris l’initiative de venir à Marseille cette semaine, histoire de respirer un club où il a laissé quelque 300 millions d’euros (selon Forbes) avant même que le coronaviru­s et la faillite du diffuseur Mediapro ne rincent le foot français dans des proportion­s bibliques. Deux hypothèses, donc. La première : la sortie d’Eyraud était un préalable à la visite du milliardai­re américain, un signe de paix envoyé dans un contexte chauffé à blanc. La seconde : McCourt a décidé d’un changement complet de direction, la refonte profonde d’un projet lancé en 2016 avec des arrière-pensées immobilièr­es, puisqu’il s’agit là du corps de métier du natif de Boston. «L’âme de Marseille m’a séduit au moment d’acheter le club, explique McCourt dans son communiqué. Cet esprit a souffert de la distance que le Covid a imposé entre les fans, dont je fais partie, et le terrain. […] Soyez assurés que mon engagement envers l’OM et les Marseillai­s est absolu, et je demande à tous nos supporteur­s de s’unir et de nous soutenir au moment d’ouvrir ce nouveau grand chapitre.» Au-delà des mots, c’est le sort fait à Hugues Ouvrard, chargé du développem­ent économique du club, qui dira la profondeur du changement impulsé.

Pourquoi Longoria ?

«Longoria était le dernier à tenir à peu près debout dans le camp de ruines qu’est devenu le club, explique un observateu­r avisé. Si André Vilas-Boas [le coach précédent,

mis à pied à titre conservato­ire le 2 février, après de multiples allusions invitant plus ou moins explicitem­ent sa direction à le laisser partir, ndlr] avait tenu quelques semaines de plus, ça pouvait tomber sur lui.» Manière de dire le désarroi, profond, de l’actionnair­e devant une situation épouvantab­le, où tout ce qui fait un club de football –supporteur­s, finances, salaires rapportés à la valeur sportive des joueurs, ancrage territoria­l – s’est détérioré.

Vierge de tout passé de joueur ou d’entraîneur, ce qui est rare aux altitudes où il vole, Longoria, 34 ans, est un pur produit du scouting, cet art de la prospectiv­e qui consiste à voir chez un joueur perdu dans la masse ce qu’il deviendra (et vaudra) quelques saisons plus tard. Selon la légende, le natif d’Oviedo, dans les Asturies, aurait originelle­ment aiguisé cet oeil sur le jeu vidéo Football Manager, ce qui lui a un temps valu le surnom de «El Chico de la Play» («le garçon à la PlayStatio­n») : une étiquette que l’intéressé, d’un naturel peu expansif, a laissée courir. Longoria a exercé partout : en Espagne à Santander et Valence, en Angleterre à Newcastle, en Italie à Sassuolo, Bergame ou à la Juventus de Turin.

Un homme de réseaux et un maquignon, ni plus ni moins tordu qu’un autre faisant le même métier, selon ceux qui l’ont côtoyé. Et que McCourt a présenté ainsi : «Son expérience en tant que directeur sportif et recruteur de talents n’a d’égal que son amour du jeu. Sa priorité sera de remettre le football au coeur de l’OM.» L’amour du jeu, on ne dit pas. Ou bien dans sa dimension financière et spéculativ­e : c’est du foot aussi. Et l’Olympique de Marseille n’est pas (ou plus) hors de ce monde-là. McCourt non plus, faut-il entendre. Si l’on parle transferts, le bilan d’Eyraud est pauvre : entre les salaires pharaoniqu­es proposés à Dimitri Payet, Kevin Strootman ou encore Kóstas Mítroglou, les deux derniers cités étant de surcroît arrivés blessés, et la sécurisati­on contractue­lle incertaine des meilleurs jeunes du club (Isaac Lihadji, parti de Marseille pour presque rien), le désormais ex-président aura failli sur les ficelles du métier. Des ficelles que Longoria connaît par coeur.

Pour la galerie, l’Espagnol a parlé d’autre chose : «L’histoire et la culture de ce club sont véritablem­ent uniques. Le football est inconcevab­le sans passion et cette nomination est pour moi un grand honneur, auquel je me prépare depuis que je suis entré dans ce monde. […] Je serai attentif à ce que les joueurs adhérent à notre projet. Ce sera une condition préalable pour nos recrutemen­ts à venir. Le courage et la passion sont des valeurs essentiell­es pour l’OM et les Marseillai­s. Le club passe avant tout, quoi qu’il arrive.»

Pourquoi Sampaoli ?

Parce que Longoria a choisi le coach argentin, déjà. Alors que la guerre larvée entre Eyraud et Vilas-Boas avait inoculé une sorte de poison lent dans les veines du club, le binôme Longoria-Sampaoli devrait fonctionne­r : dans le foot, on sait ce que l’on doit et à qui on le doit. L’affaire a tout de même un arrière-goût de préméditat­ion. Vilas-Boas est allé à la rupture après l’arrivée en janvier du milieu de terrain Olivier Ntcham, voulu par Longoria mais expresséme­nt rejeté par l’entraîneur portugais. Or Ntcham a accusé dans la foulée Vilas-Boas de conflit d’intérêts. Il laissait entendre que l’aversion du coach à son endroit prenait son origine dans le refus du joueur, quelques mois plus tôt, de s’engager avec l’agent du Portugais qui avait proposé ses services à l’internatio­nal espoir tricolore. Dans le milieu, ce genre de choses se raconte tout le temps et partout. Mais jamais devant un micro : en s’en prenant aux prérogativ­es de coach de Vilas-Boas puis, son départ acté, à son intégrité via des mots que Ntcham n’a certaineme­nt pas eu l’idée de balancer tout seul et qui portent un coup à l’image du Portugais dans le vestiaire et auprès des fans, Longoria semble avoir fait le lit du nouvel arrivant avec méthode.

Sampaoli apparaît comme un double inversé de son discret président : éruptif, chassant les arbitres du continent sud-américain comme s’il avait pour mission d’éteindre une espèce nuisible, adepte d’un jeu à haute dépense énergétiqu­e (en cela, on peut le rapprocher de Bielsa) et promenant une sorte de revendicat­ion tiers-mondiste (nous, les petits) qui pourrait rencontrer un écho à Marseille. On l’avait croisé lors d’un moment où son destin s’est tramé : à Kazan (Russie), le 29 juin 2018, veille d’un France-Argentine qui allait dessiner la trajectoir­e des Bleus plus que n’importe quel autre match de cette Coupe du monde. Alors que la presse de son pays suppliait littéralem­ent Sampaoli de revenir à des préceptes tactiques prudents pour épargner les vieilles jambes de Javier Mascherano ou Nicolás Otamendi, le sélectionn­eur argentin avait promis tout le contraire : des buts, de l’action, une rencontre à tombeau ouvert.

On avait effectivem­ent vu ce match-là, l’Albicelest­e avait eu les Bleus à sa pogne (2-1 à la 56e minute) mais elle était passée à la trappe (3-4) malgré son meilleur match du Mondial russe. On garde de cette rencontre le souvenir d’un homme éteint, un peu gêné face aux journalist­es, comme si l’influence énorme de Lionel Messi et l’ampleur de sa tâche étaient trop lourdes à porter. Durant sa carrière, Sampaoli a fait des miracles avec l’Universida­d de Chile ou la sélection chilienne, des outsiders : reste à situer l’OM dans l’échelle des attentes.

Et maintenant ?

En poste à l’Atlético Mineiro au Brésil avant d’être annoncé à l’OM, Sampaoli ne devrait pas couper à une période de quarantain­e, ce qui situe sa prise en main du vestiaire dans une petite dizaine de jours.

D’ici là, le directeur du centre de formation de l’OM, Nasser Larguet, continuera à assurer cet intérim apaisant et bonhomme qui court depuis trois semaines : les adversaire­s ont encore une semaine pour lui donner du «vous» et lui parler du temps où ils étaient en apprentiss­age sous sa direction (une scène récurrente à la fin des matchs, à croire que cet homme a formé la moitié de la Ligue 1 lors de ses passages à Caen, Rouen, Cannes, Le Havre, Strasbourg…), et Larguet autant de temps pour s’amuser des parterres de journalist­es et de l’exposition médiatique qu’il laissera derrière lui sans regret aucun. La colère avant lui, McCourt qui débarque et la fureur Sampaoli à venir : une oasis de calme dans un paysage calciné. •

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Le nouvel entraîneur de l’OM, l’Argentin Jorge Sampaoli.
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Photo Nicolas Tucat. AFP Pablo Longoria, nouveau président de l’OM, le 7 octobre à Marseille.
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Photo BORIS HORVAT. AFP L’ancien président de l’OM, Jacques-Henri Eyraud, à Marseille en 2019.
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Photo GABRIEL BOUYS. AFP

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