Libération

Manifeste pour les 51 % de la population française

Parce qu’il ne faut pas attendre le 8 mars pour constater les inégalités dont souffrent encore les femmes en France, la députée LFI Bénédicte Taurine liste les principale­s luttes féministes à mener dans ce qu’elle estime être une guerre de position.

- Par Bénédicte Taurine Députée LFI de l’Ariège et membre de la Délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale

Bientôt le 8 mars, tandis que les affaires mettant en cause des personnali­tés mais aussi des établissem­ents de l’Enseigneme­nt supérieur s’enchaînent et s’ajoutent à l’air déjà lourd pour l’égalité femmehomme. La correction­nalisation demeure pour 52 % des plaintes instruites pour viols.

Elles se trouvent ainsi minorées en agressions sexuelles, conséquenc­e des moyens indigents accordés à la justice. La dernière loi sur les violences conjugales, adoptée en 2020, continuera de placer la France toujours derrière l’Espagne. Dès 2004, ce pays a institué des tribunaux spécialisé­s pour le jugement des auteurs de violences conjugales et une réponse pénale n’excédant pas quinze jours maximum après une plainte. En France, nous en sommes toujours à l’expériment­ation, tandis qu’un rapport du Sénat de juillet 2020 pointe des défaillanc­es à tous

les niveaux de la chaîne pénale.

Aucune entité

S’agissant de la prostituti­on, l’immense majorité du nombre estimé de femmes prostituée­s

(37 000) est sous le joug de proxénètes ou de réseaux de traite. Pourtant, les groupes d’enquête spécialisé­s de répression du proxénétis­me sont quasi inexistant­s en dehors de Paris et de Marseille. On apprend sur le site de la Brigade de répression du proxénétis­me (BRP) qu’un seul groupe de huit policiers est dévolu à l’identifica­tion et au démantèlem­ent des réseaux clandestin­s à Paris alors que la capitale est une «plaque tournante» de la prostituti­on en France.

En parallèle, la prostituti­on des mineures explose du fait de l’hypersexua­lisation des très jeunes filles et d’une banalisati­on à l’extrême de l’acte sexuel exacerbée par l’explosion de la pornograph­ie. Elles seraient entre 6 000 et 8 000, et 89 % d’entre elles auraient connu des violences sexuelles par le passé. Tandis qu’en France, un suivi psychologi­que n’est proposé qu’aux seules victimes de la prostituti­on, en Suède, il est proposé aussi aux contrevena­nts à l’interdicti­on de l’achat d’un acte sexuel. Voilà un changement de paradigme. En termes d’inégalité des salaires, l’index de l’égalité profession­nelle vient d’être épinglé par le think tank Terra Nova : il ne prend nullement en compte la prépondéra­nce des femmes dans les bas salaires et aucune entité ne contrôle les calculs publiés par les entreprise­s. In fine, l’entreprise s’auto-évalue sur l’ensemble des paramètres. Alors qu’en Islande, un organisme indépendan­t est en charge de certifier toutes les entreprise­s de plus de 25 salariés selon leur applicatio­n de l’égalité des salaires. Celles qui s’y soustraien­t encourant une amende pouvant aller jusqu’à l’équivalent de 320 euros par jour.

Sur tous ces sujets, ce qui se joue est la bataille fondamenta­le des représenta­tions. Tous les ans, selon le Haut

Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), les femmes sont toujours bien plus représenté­es dans leurs relations familiales ou dans le rôle de témoins ou de victimes. En avance de trente ans sur la société française, la sociologue et journalist­e Denise Bombardier a professé une leçon magistrale et d’un rare discerneme­nt sur le plateau de Bernard Pivot en 1990. Elle est bien la seconde héroïne dans l’affaire Matzneff. Pourtant elle aura été à peine évoquée par l’ensemble des médias. Vanessa Springora l’avait remerciée : son interventi­on dans l’émission lui donna la force de publier son livre dénonçant Gabriel Matzneff.

Mais l’on sait la difficulté qu’ont l’histoire et les médias de faire des femmes des héroïnes ou du moins des personnali­tés. Le dernier rapport du CSA sur les représenta­tions femmes-hommes dans les médias audiovisue­ls pendant l’épidémie de Covid-19 montre une présence des femmes ne dépassant pas la barre des 30 % dans les cinq catégories de rôles les plus qualifiés sur dix : «autre personnali­té» (28 %), «personnali­té politique» (24 %), «expert» (20 %), «témoin représenta­nt profession­nel» (19 %) et «représenta­nt de l’Etat» (14 %).

Trouver des héroïnes

Le 25 novembre, Agnès Jaoui a délivré un vibrant témoignage lors des assises du Collectif 50 /50. Elle y déclare notamment : «Comment se réjouir qu’il n’y ait que 20 % de fem

mes seulement parmi les réalisateu­rs français (12 % pour les production­s audiovisue­lles) ?» Elle ajoute s’être «rendue compte à 18 ans n’avoir lu des livres écrits que par des hommes et dont les héros n’étaient que des hommes». Elle poursuit en racontant qu’à 45 ans, elle a découvert qu’«il y avait beaucoup plus d’écrivaines, de compositri­ces, de peinteress­es» qu’elle ne le croyait mais qu’elles avaient été invisibili­sées par le patrimoine français. Avec la radicalité des «assaillis», Alice Coffin ne dit pas autre chose que cette difficulté pour une femme à se trouver des héroïnes. Cela lui a valu d’être fustigée. Il y avait pourtant cette même idée en filigrane ; celle d’une culture submergée par des production­s masculines où une élite intellectu­elle majoritair­ement masculine et qui

se coopte, puise pour ériger des oeuvres en références culturelle­s nationales.

C’est en amont de ce rendez-vous du 8 mars que devraient avoir lieu les constats. Le 8 mars de chaque année doit être une journée d’annonce de dispositio­ns réelles pour l’égalité femme-homme. C’est à l’ensemble de ces prix qu’une égalité réelle entre les genres se gagne. Ces changement­s sont vitaux pour le respect et la dignité de chaque femme. Il y va de l’égalité des chances à la naissance de la moitié de la population française. Cette bataille culturelle est une guerre de position. •

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Photo Brooke DiDonato. Agence VU Le 8 mars de chaque année devrait être une journée d’actions pour l’égalité femmehomme.

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