Il faut repenser l’index de l’égalité salariale
Le 1er mars, cet indicateur devient obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés. Mais ses nombreux biais masquent l’ampleur des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.
Apartir d’aujourd’hui, toutes les entreprises de 50 salarié·e·s et plus doivent calculer et publier leur index d’égalité salariale. Sous forme d’une note sur «100», cet index déjà obligatoire pour les grandes et très grandes entreprises entend évaluer la performance des entreprises en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Nous nous attendons une nouvelle fois à des notes décorrélées de la réalité des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. L’édition 2020 révèle en effet que la note moyenne est de 87/100 pour les entreprises de plus de 1 000 salarié·e·s, de 85/100 pour celles de 250 à 1 000 et enfin de 83 pour celles de 50 à 250. Ces notes ne reflètent pas l’ampleur des inégalités professionnelles telles qu’elles sont largement documentées depuis de nombreuses années. A poste et expérience équivalents, les femmes gagnent en effet 12,8 % de moins que les hommes. Elles occupent moins souvent des postes rémunérateurs et sont moins représentées que les hommes dans les secteurs d’activité où les salaires moyens sont les plus élevés. Elles sont moins cadres, et leur expérience professionnelle est moindrement valorisée.
Si l’index est un outil qui a le mérite d’exister, il n’en reste donc pas moins essentiel d’affiner ses modalités pour en accroître l’efficacité. Parmi les nombreux biais que comporte l’index, le plus inquiétant est l’insuffisante prise en compte des inégalités salariales. Ainsi, une entreprise qui rémunère les femmes en moyenne 10 % de moins que les hommes obtiendra tout de même une grande partie des points de l’indicateur. «10 %», cela correspond à l’écart moyen «inexpliqué», le «toutes choses égales par ailleurs», une fois écartés les effets du temps de travail ou de la ségrégation professionnelle. En accordant des points aux entreprises qui présentent un tel écart, on accepte en réalité l’inexpliqué, l’inexplicable. L’index manque aussi son objectif en ce qu’il omet des facteurs importants d’inégalités et oublie de considérer les caractéristiques et les trajectoires propres à l’emploi des femmes. En considérant le salaire en équivalent temps plein pour calculer la rémunération moyenne des femmes et des hommes, il invisibilise l’épineuse question des temps partiels. Et ce, alors que l’on sait que plus des trois quarts des temps partiels sont occupés par des femmes. En accordant trop peu de points à l’indicateur relatif aux évolutions de carrière et aux augmentations des femmes, l’index se préoccupe peu de la ségrégation professionnelle qui, en façonnant les trajectoires des femmes et des hommes sur le marché du travail, représente pourtant un enjeu majeur pour l’égalité des sexes. En se limitant à comparer les mêmes grandes catégories d’emplois, l’index ne permet pas de tirer les grandes leçons de la crise du Covid-19, qui a mis en lumière l’évidente contradiction entre la valeur sociale des emplois à dominante féminine et leur reconnaissance économique. Enfin, en n’intégrant pas d’indicateur relatif au nombre de femmes dans les cadres dirigeant·e·s et donc dans le comité exécutif de direction des entreprises, l’index fait l’impasse sur le très fameux «plafond de verre», qui empêche les femmes d’accéder aux plus hautes fonctions. En dernier lieu, la loi prévoit une pénalité «pouvant» atteindre 1 % de la masse salariale, si l’entreprise n’a pas pris de mesures rectificatives lui permettant d’atteindre le seuil de 75 points dans les trois ans. Trop peu dissuasive, cette sanction ne permet pas d’avancer rapidement en matière d’égalité professionnelle, alors qu’en 1973 Gisèle Halimi écrivait déjà que la dépendance économique était «l’outil le plus solide de la domination des femmes» et qu’il fallait «rompre avec la dépendance économique, source de toutes les autres». Trop peu ambitieux et sclérosé par ses nombreux biais, en l’état, l’index de l’égalité est proprement inefficace pour mesurer les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes et les faire reculer. Il est impératif que le gouvernement avance rapidement sur le sujet, pour en finir enfin avec ces inégalités d’un autre temps. •
Cosignataires :
Alyssa Ahrabare Porte-parole d’Osez le féminisme ! Merete Buljo Présidente de Digital Ladies and Allies, Frédérique Cintrat Fondatrice de Axielles et auteure de Comment vient l’ambition ? Chiara Condi Présidente de Led By Her, Isabelle Hébert Présidente de Parité Assurance, Christiane Marty Fondation Copernic, Minetou Ndiaye Présidente de Energie Femmes, Louisa Renoux Présidente de Femmes, Santé, Climat, et Isabelle Sthemer Présidente de Protéine «au féminin».
Avocate, fondatrice du premier cabinet spécialisé en entrepreneuriat féminin