«Borders», quand l’espoir tourne aride
Entre la France, l’Italie, l’Espagne et la Tunisie, Jean-Michel André photographie les paysages où ont cheminé les migrants.
Il y a deux ans, les Rencontres d’Arles consacraient une solide exposition collective au thème de la frontière, tel qu’inventorié à travers l’Europe (Hongrie, Espagne…). Ces «Murs du pouvoir» privilégiaient alors un traitement documentaire qui, ici, n’est pas la priorité de Jean-Michel André, en dépit de l’intitulé mitoyen de son livre, Borders, paru mi-février. Bien que larguant d’emblée les amarres, le projet prend néanmoins sa source dans un douloureux imbroglio géopolitique : celui de la «jungle» de Calais, dont le Nantais d’origine, défendu par la galerie
Sit Down, accompagne le crépuscule qui aboutira à son évacuation, à l’automne 2016. Soucieux de «questionner le rapport à l’autre, porté vers un ailleurs» et d’«interroger les notions de frontières réelle et imaginaire», le photographe part alors en vadrouille entre France, Italie, Espagne et Tunisie. Où, sondant le «vertige du vide», il escamote toute trace explicitement coercitive (à peine si l’on aperçoit un grillage, en arrière-plan) et ne concède à l’être humain – pourtant au coeur du propos – que la portion congrue (trois corps de dos, quelques visages de profil, trouant la pénombre ou engloutis dans la végétation) pour concentrer son attention sur la nature.
Tantôt hirsute ou glabre, mais jamais à proprement parler accorte – quand bien même on concéderait aux flots impétueux ou aux cimes inexpugnables quelque charme indocile –, celle-ci révèle en creux les espoirs et les souffrances d’«hommes et de femmes perdus». Au même titre que les animaux, très présents (un oiseau noir volant dans un ciel uniforme, un chien errant sur un sol aréneux au milieu de traces de pneus à peine lisibles) mais livrés à eux-mêmes, ils n’apportent aucun réconfort particulier. Oscillant entre noir et blanc et couleur atone, les images atemporelles de Jean-Michel André sont accompagnées d’un texte de l’écrivain français d’origine congolaise Wilfried N’Sondé qui, dans un registre plus lyrique, blâme «ces barrières infligées à la Terre [qui] lacèrent la course des vents et donnent à leur souffle des accents funèbres».
Borders de Jean-Michel André Actes Sud, 110 pp., 39 €.