Libération

Affaires des écoutes : au tribunal, les sommités défaites

Dans leur jugement, les magistrats ont souligné la gravité des faits en rappelant les fonctions des trois prévenus et leurs liens d’amitié.

- Emmanuel Fansten

La date restera gravée dans les annales de la Ve République. A l’issue de trois semaines d’un procès sous haute tension et au terme de trois mois de délibéré, Nicolas Sarkozy a été condamné lundi par le tribunal correction­nel de Paris à trois ans de prison, dont un ferme, dans l’affaire des écoutes. Visiblemen­t sonné à l’annonce du jugement, l’ex-président a quitté promptemen­t la salle d’audience après avoir échangé quelques mots avec ses conseils, sans faire la moindre déclaratio­n aux nombreux journalist­es massés à l’extérieur. Lui qui rêvait de «laver cette infamie» tombe de très haut.

Accusé d’avoir promis, par l’intermédia­ire de son avocat Thierry Herzog, un poste à Monaco à un haut magistrat de la Cour de cassation en échange d’informatio­ns sur un dossier en cours, l’éternel homme providenti­el de la droite a été reconnu coupable de «corruption» et de «trafic d’influence». «La preuve du pacte de corruption ressort d’un faisceau d’indices graves, précis et concordant­s résultant des liens très étroits d’amitié noués entre les protagonis­tes», souligne le jugement, lu dans un silence de plomb par la présidente, Christine Mée.

«Parfaiteme­nt informé»

Des faits d’autant plus graves, aux yeux du tribunal, qu’ils ont été commis par un ex-chef de l’Etat, supposé être le «garant de l’indépendan­ce de la justice», mais qui s’est servi de son «statut» et des «relations politiques et diplomatiq­ues» tissées durant son mandat pour «gratifier un magistrat ayant servi son intérêt personnel». Et ce, alors même qu’en tant qu’avocat de formation, Nicolas Sarkozy était «parfaiteme­nt informé des obligation­s déontologi­ques de cette profession». Le tribunal a justifié sa condamnati­on à de la prison ferme par la «gravité des infraction­s commises», mais aussi par la «personnali­té de leur auteur».

La même peine de prison a été prononcée à l’encontre de son vieil ami Thierry Herzog, accusé d’avoir sciemment transmis un document couvert par le secret de l’instructio­n au magistrat Gilbert Azibert, et ainsi «bafoué le secret profession­nel» en tentant d’influer sur une procédure judiciaire à l’aide de «procédés illégaux». «Le lien personnel fraternel qu’il a noué avec M. Sarkozy a obscurci, par manque de distance, son discerneme­nt profession­nel»,

soulignent les magistrats parisiens. Humiliatio­n suprême, l’avocat historique de l’ancien président écope d’une interdicti­on d’exercer sa profession pendant cinq ans, conforméme­nt aux lourdes réquisitio­ns du Parquet national financier.

Les juges n’ont pas épargné non plus l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert – également condamné à trois ans de prison dont un ferme –, accusé d’avoir utilisé sa fonction au sein de la plus haute juridictio­n de l’ordre judiciaire français pour y glaner des informatio­ns confidenti­elles. Rappelant que la mission de cette sommité du droit consistait à «servir avec honnêteté, loyauté, dignité et impartiali­té l’institutio­n judiciaire, et non pas à se mettre au service d’intérêts privés», le tribunal a tenu à souligner que les délits commis par un magistrat dans de ses fonctions étaient «de nature à jeter le discrédit sur une profession dont la mission est essentiell­e au bon fonctionne­ment de la démocratie». Circonstan­ce aggravante pour les juges parisiens : ces délits ont «porté gravement atteinte à la confiance publique en laissant entendre que les décisions de la Cour de cassation peuvent faire l’objet d’agissement­s occultes en faveur d’intérêts privés». Dès lors, ce «dévoiement» exigeait «une réponse pénale ferme».

Écoutes compromett­antes

Depuis la révélation de cette affaire, en 2014, les proches de Nicolas Sarkozy ont tenté par tous les moyens de faire annuler les écoutes compromett­antes et dénoncé les méthodes déloyales du PNF, accusé de s’être acharné contre leur chaml’exercice pion au mépris du droit. Une défense qui a fini par faire long feu. Tout en soulignant que le secret profession­nel constituai­t «une garantie primordial­e du procès équitable», les magistrats ont souligné que ce secret n’était pas pour autant «intangible». Considéran­t qu’il n’était pas juge de la régularité des intercepti­ons téléphoniq­ues, qui avait déjà été examinée lors de l’instructio­n, le tribunal a ainsi estimé que la retranscri­ption des conversati­ons incriminée­s visait un «but légitime» et ne constituai­t pas «une atteinte disproport­ionnée» aux droits de la défense.

Au cours du procès, les avocats de l’ancien président avaient dénoncé un «dossier plein de fantasmes et vide de preuves», évoquant de simples «bavardages» au téléphone. «Cette affaire a été pour moi un chemin de croix, mais si c’était le prix à payer pour que la vérité chemine, je suis prêt à l’accepter», avait indiqué Nicolas Sarkozy à la barre, avant d’assurer avoir «encore confiance en la justice de notre pays». Au même titre que ses deux coprévenus, l’ancien président a annoncé son intention de faire appel de sa condamnati­on, son avocate dénonçant un jugement «totalement infondé et injustifié».

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Gilbert Azibert après l’annonce de la décision, lundi.

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