Libération

Sarkozy condamné, le PNF conforté

Avec la condamnati­on de l’ancien président, cette jeune structure spécialisé­e dans les dossiers complexes, très attaquée pendant le procès des écoutes, raffermit sa légitimité.

- Laurent Léger

Photo Denis Allard

Crise de croissance ? Ou réelle crise de légitimité ? Le Parquet national financier (PNF), créé fin 2013 par la gauche après le scandale Cahuzac, traversait une période difficile jusqu’au jugement intervenu lundi, condamnant Nicolas Sarkozy, l’avocat Thierry Herzog ainsi que l’ancien magistrat Gilbert Azibert, pour «corruption» et «trafic d’influence». «C’est une décision historique. Elle rappelle que les citoyens sont égaux devant la loi, principe mis à mal par des décennies d’impunité. On sait aujourd’hui qu’un ancien président peut être condamné à une peine de prison ferme», souligne la présidente d’Anticor Elise Van Beneden.

Centralisa­nt les dossiers nationaux et complexes de fraude fiscale, de corruption ou de trafic d’influence, le PNF s’était retrouvé la cible de toutes les attentions, tant sont lourds les enjeux liés aux dossiers qu’il traite. Ses 17 magistrats ont autant géré l’affaire qui fit chuter François Fillon que celles visant Nicolas Sarkozy, sans compter les innombrabl­es dossiers dans lesquels ont été accrochés parlementa­ires et patrons, ainsi que ceux mettant en cause les pratiques de grosses sociétés du CAC 40. Le PNF a réussi au cours de ses sept ans d’existence à faire prononcer par le tribunal correction­nel quelque 7 milliards d’euros d’amendes cumulées, 1,8 milliard d’euros de dommages et intérêts pour l’Etat, et à récupérer 557 millions d’euros issus de contrôles fiscaux. A juste titre, le PNF «est un petit peu fait pour déplaire», rappelait récemment à Libération son chef, Jean-François Bohnert. Il déplaît surtout énormément à tous ceux à qui il demande des comptes.

Divisions.

Mais à force de «déplaire», les attaques, d’abord feutrées, étaient devenues de plus en plus frontales, et la tension avait atteint son apogée au cours du procès des écoutes. Venues en bloc tout au long de l’audience soutenir les deux avocats jugés – Sarkozy et Herzog–, les robes noires faisaient masse face à la maigre accusation, représenté­e par deux membres du PNF seulement. Il s’agissait aussi pour les poids lourds du barreau de protester contre le fait que le dossier reposait sur des écoutes téléphoniq­ues qu’ils jugeaient «illégales». Tous souhaitaie­nt également démontrer que le PNF avait franchi la ligne jaune en raison de l’affaire dite «des fadettes». Cette enquête préliminai­re, ouverte afin de détecter l’origine d’une fuite dans le dossier des écoutes, avait décortiqué les contacts d’une dizaine d’avocats, dont le futur ministre Eric DupondMore­tti. La révélation de l’existence de cette procédure parallèle avait créé le choc en 2016 lorsque, par hasard, la défense en avait pris connaissan­ce. Une inspection avait été lancée sur le fonctionne­ment du PNF, concluant qu’aucune illégalité n’avait été commise. Dupond-Moretti s’était désisté de la plainte, mais avait engagé une enquête administra­tive contre les deux magistrats ayant conduit l’enquête des fadettes ainsi que sur l’ancienne cheffe du PNF, Eliane Houlette. Provoquant un tollé chez les syndicats de magistrats.

Eliane Houlette avait réussi à donner sa légitimité au PNF, mais son management contesté par certains ainsi que ses désaccords avec sa supérieure hiérarchiq­ue avaient contribué à l’affaiblir. Avec la procureure générale de Paris, elle s’était accrochée sur la conduite de certains dossiers, notamment celui visant Fillon. Résultat, lors d’une audition à l’Assemblée, Houlette avait dénoncé les «pressions» exercées selon elle par sa supérieure, révélant de fait les divisions internes au ministère public. Par ailleurs, elle avait subi l’ire de l’un de ses collaborat­eurs qui n’avait pas hésité à écrire une longue lettre à sa hiérarchie, la soupçonnan­t d’avoir été à l’origine de la fuite dans le dossier des écoutes. Cette ambiance délétère avait fini par diffuser à l’extérieur.

Oxygène.

«Toute la lumière devra être faite sur les méthodes et l’indépendan­ce du PNF», a tweeté lundi le président de LR, Christian Jacob. Oubliant que, s’il a validé la thèse de l’accusation, le jugement a été rendu par un tribunal indépendan­t, après une instructio­n menée par d’autres juges indépendan­ts. Oubliant également que, comme tous les parquets, le PNF est placé sous l’autorité de la chanceller­ie. Oubliant enfin que, pas plus tard que vendredi, il s’était pris une veste : le tribunal avait refusé de valider l’accord négocié avec Vincent Bolloré, jugeant insuffisan­te la peine proposée par le PNF. Le signe en passant que ses procureurs ne s’acharnent pas forcément sur les personnali­tés tombant dans leurs filets. Pour le PNF en tout cas, le jugement de lundi constitue la bouffée d’oxygène dont il avait besoin pour reprendre des forces. Et continuer à mener son oeuvre en milieu (très) hostile.

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