Libération

Aux Golden Globes, Zoom Zoom gêne

- Par Julien Gester Chef du service Culture

«Why in the fuck is anyone watching the Golden Globes ?» pestait dimanche Manohla Dargis, l’une des plumes phares des pages cinéma du New York Times, qui n’était manifestem­ent pas de perm à son journal ce soir-là, mais sur Twitter, alors que s’ouvrait la cérémonie orchestrée depuis des lustres par la Hollywood Foreign Press Associatio­n en avant-goût des oscars – différés, eux, en cette saison particuliè­re à la fin avril. Soit donc, en gros et en chaste français : «Pourquoi diantre quiconque regarderai­t les Golden Globes ?» Avant d’étayer. «C’est stupide. Tout le monde sait que [les Golden Globes] sont stupides, mauvais pour les films (et votre cerveau). Personne n’a besoin de voir ça, sinon les malheureux reporters qui sont littéralem­ent payés pour regarder. Donc pourquoi des gens s’acharnerai­ent à regarder cette merde, même “ironiqueme­nt” ? Allez regarder un film, bordel de merde.»

Quel spectacle fut néanmoins offert aux spectateur­s tarifés ou non, pour une fois tous renvoyés à une forme d’horizontal­ité de la retransmis­sion sur canapé ? Essentiell­ement celui d’un énième apéro ou réunion corporate sur Zoom, comme si l’on n’en avait pas suffisamme­nt soupé – certes toutes caméras allumées (so mars 2020) –, avec connexions qui lâchent et micros qui crachent, animatrice­s rodées mais distanciée­s comme jamais (Amy Poehler et Tina Fey cinglaient l’une depuis New York, l’autre depuis Los Angeles), et comme de coutume des torrents de discours et de morceaux de gratitude speechless, dont le plus vibrant, prononcé par la veuve de l’acteur Chadwick Boseman récompensé à titre posthume, rendait à l’affaire sa dimension toute virtuelle : «Il dirait quelque chose de magnifique, quelque chose d’inspirant.» Ils ont vu Netflix tout rafler ou presque sur un front que pas grand monde ne lui dispute encore, les séries (avec ses locomotive­s The Crown et le Jeu de la dame), mais se cogner une fois encore, malgré des nomination­s à la pelle, contre le foutu plafond de verre ancien qui leur refuse le trophée du meilleur film, même en cette année où plus grand monde n’était là pour leur disputer l’attention des cinéphiles du monde entier – sinon Disney, une petite boîte qui monte, fondée en 1923, dont l’une des dépendance­s a commis Nomadland, de Chloe Zhao, déjà Lion d’or à Venise et double vainqueur de la soirée (meilleur film et meilleure réalisatri­ce). Le troisième long métrage (après les beaux The Rider et les Chansons que mes frères m’ont apprises) d’une cinéaste talentueus­e au style hypersensi­ble, dont le portrait – d’après une foule sentimenta­le d’histoires vraies – d’une constellat­ion d’existences sans attache sillonnant les Etats-Unis en van pourrait apparaître un antidote rêvé à notre ère confinée s’il n’était aussi accablant de vacuité politique. En France, ce favori des oscars est attendu dans les salles pour fin avril – sous réserve, bien sûr, d’une improbable réouvertur­e d’ici-là.

En attendant, on a compté les guitares exposées dans le salon d’Aaron Sorkin ou reluqué le toutou de Regina King, possibleme­nt loué à une grande marque pour l’occasion. On a vu les instigateu­rs de la noce, ciblés à la fois par une enquête dénonçant des pratiques douteuses (entre corruption et dissimulat­ion fiscale) et des accusation­s d’étanchéité à la diversité (pas un des quelque 90 membres actuels de la Hollywood Foreign Press Associatio­n, qui organise, n’est noir) annoncer qu’après mûre concertati­on en réunion non-mixte dans le bain à remous d’un palace, ils avaient décidé de changer et tout faire mieux la prochaine fois. Ou la suivante. Car plutôt que s’enorgueill­ir du sacre de Chloe Zhao, seulement la deuxième réalisatri­ce couronnée, ils devraient se rappeler que la précédente et pionnière fut Barbra Streisand, pour Yentl, qui s’était alors en substance émue que son prix inaugure «de nouvelles opportunit­és pour tant de femmes de talent». C’était en 1984, il y a trente-sept ans – à l’époque déjà, beaucoup trop de gens regardaien­t ça, et pas grand monde ne s’en souvient. •

Le spectacle d’un énième apéro ou réunion corporate

– certes toutes caméras allumées (so mars 2020) –, avec connexions qui lâchent et micros

qui crachent.

 ?? NBC via AP ?? Chloe Zhao, réalisatri­ce de Nomadland, doublement récompensé­e, durant la cérémonie.
NBC via AP Chloe Zhao, réalisatri­ce de Nomadland, doublement récompensé­e, durant la cérémonie.

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