Libération

Rwanda : ce «R» qui poursuit Hubert Védrine

- Par Maria Malagardis Journalist­e au service Monde

«Arrêtez, ce n’est pas un interrogat­oire !» s’énerve Hubert Védrine. Samedi, sur Radio France Internatio­nal (RFI), la tension est soudain montée d’un cran. L’ancien secrétaire général de François Mitterrand était venu présenter son Dictionnai­re amoureux de la géopolitiq­ue.

Avec 250 entrées et autant de sujets offerts à la discussion. Et un thème qui revient toujours dans les questions des journalist­es, au risque d’agacer l’ex-diplomate. Ce sujet sulfureux, il l’évoque pourtant lui-même à la lettre «R» de son dictionnai­re. «R», comme «Rwanda». Derrière ce «R», il y a une petite musique entêtante qui ne cesse de hanter et interpelle­r les responsabl­es français de l’époque. Sur le rôle de la France dans ce petit pays africain entre 1990 et 1994. Alors qu’elle soutient un régime qui se radicalise et va conduire au génocide de la minorité tutsi. Près d’un million de morts en trois mois. A cette époque, Védrine se trouve dans le cercle intime de Mitterrand, à l’Elysée. Depuis plus de vingt-cinq ans, on l’a souvent interrogé sur ce dossier «R». Parfois avec timidité, parfois avec un peu plus de curiosité. Comme ce fut le cas sur

RFI samedi. Le journalist­e évoque un document accablant retrouvé récemment par un chercheur. Daté du 15 juillet 1994, il confirme que le Quai d’Orsay a donné l’ordre de ne pas arrêter les responsabl­es du génocide alors en fuite, présents dans une zone sous contrôle militaire français. «Rien de nouveau dans cette accusation», balaye d’abord l’intéressé. Il a raison. D’ailleurs, on dispose depuis longtemps d’un autre document, où Védrine suggère la même chose : pas question d’arrêter les tueurs. On les a effectivem­ent laissés filer de l’autre côté de la frontière. Reste que sur RFI, le journalist­e insiste, exprime son trouble. Jusqu’à faire exploser son invité.

Dans son dictionnai­re, Védrine affirme présenter «les deux thèses» : celle qui accuse la France, et celle qui rejette ces accusation­s. En réalité, il développe surtout la sienne : la France s’est engagée au Rwanda «pour éviter une guerre civile», à la suite de l’attaque du Front patriotiqu­e rwandais (FPR), qui surgit en 1990 à la frontière avec l’Ouganda. Mais ces rebelles sont en réalité les enfants de réfugiés tutsis, chassés du Rwanda suite à des massacres antérieurs. Rien dans cette lettre «R» sur le climat de violences et de propagande haineuse contre les Tutsis entre 1990 et 1994. Pas un mot non plus sur qui sont les responsabl­es du génocide.

Il y a même quelques erreurs factuelles dans cette notice. En avril 1994, quand les massacres commencent, le FPR «pénètre dans le pays», écrit Védrine. C’est faux. Le FPR est déjà présent au Rwanda et même dans la capitale, puisque à ce moment-là, un accord de paix a été conclu. Le 6 avril 1994, l’avion du président Habyariman­a est abattu, donnant le signal du début des massacres. Et réduisant à néant ces accords de paix, signés à Arusha en Tanzanie. Par ailleurs, ce soir-là, le Président ne rentre pas d’Arusha, comme l’affirme Védrine, mais d’une réunion à Dar es Salam, capitale de la Tanzanie. Ce n’est pas très sérieux pour un dictionnai­re.

Après la mort du Président, le gouverneme­nt génocidair­e sera formé à l’ambassade de France. Ses représenta­nts seront reçus à Paris, réclamant armes et conseils en plein génocide. En 2014, Védrine finira par reconnaîtr­e devant une commission parlementa­ire que les livraisons d’armes ont continué après le début des massacres. Il sait que le 22 mai 1994, le président du gouverneme­nt génocidair­e a envoyé une lettre à François Mitterrand. Pour le remercier de l’aide apportée par la France «jusqu’à ce jour».

Le Rwanda est alors un charnier à ciel ouvert. Ce n’est pas une «thèse», ce sont des faits. Ils pourraient poursuivre longtemps ceux

qui voudraient les ignorer. •

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