Libération

«Vertigo Days», The Notwist en chute libre

Avec son onzième album, le groupe allemand, qui a fait appel à différents invités, a mis un souffle de liberté dans sa pop raffinée.

- Lelo Jimmy Batista

The Notwist fait partie de ces formations qui inspirent un sentiment très particulie­r de respect et de tendresse mêlés. Respect pour ce parcours comme peu de groupes de sa génération en ont eu, débutant en 1989 dans le sud de la Bavière, gauche, brouillon, complèteme­nt engoncé dans les pattes de Dinosaur Jr., prenant la tangente de façon dramatique en 1998 avec le sublime Shrink, véritable bouée de sauvetage dans le bourbier de la décennie finissante, à laquelle s’est agrippé tout ce qu’il restait à sauver du postrock et de l’electronic­a. Tendresse pour ces pop songs élégiaques et infaillibl­es, sans aucun équivalent connu, dans lesquelles le groupe est passé maître au début des années 2000 et qui lui vaudront une consécrati­on discrète avec Neon Golden, disque dont on n’avait même pas à se soucier de savoir si on l’aimait ou pas tant il se présentait comme une évidence.

Belles demeures.

En suivront une demidouzai­ne d’autres, tout aussi méritants mais à peine remarqués, le groupe ayant fait l’erreur de rester trop longtemps silencieux après son coup d’éclat et de multiplier les détours (projets solos, BO de films). Il faut dire que, n’ayant jamais cherché le succès, continuer la route avec un public restreint mais fidèle lui suffisait amplement. Il n’y a pas tellement de raisons que ça change avec Vertigo Days, onzième album qui vient mettre fin à une nouvelle absence discograph­ique de six ans. Et pourtant. Détaché d’une discograph­ie prolixe et pas toujours facile à suivre, Vertigo Days est à la fois le point de départ idéal pour un nouveau public et un wagon facile à raccrocher pour les distraits ou les déserteurs. Le groupe l’a d’ailleurs pensé, si ce n’est comme un nouveau départ, en tout cas comme une réinventio­n, ou plus exactement une libération – en faisant appel à de nombreux invités, en confiant le micro à de nouvelles voix, en se défaisant aussi de sa rigueur germanique, qui donnait parfois à ses disques des airs de belles demeures meublées avec goût, parfaiteme­nt ordonnés mais un rien aseptisés. Le résultat est à l’image de la photo qui illustre le dos de la pochette. Une famille au complet, des grands-parents au petit dernier, qui a quitté la maison chicos pour poser dans le jardin, bric-à-brac de feu, lumières, cabanes, guirlandes, pris en étau entre deux immeubles. Un disque rafistolé, gentiment incongru mais rassurant, à des lieues cependant du réconfort mièvre ou du doudou débilitant.

The Notwist joue désormais sur un terrain semblable à celui qu’occupent Blonde Redhead ou Teenage Fanclub, celui d’un groupe qui n’a plus rien à prouver mais qui continue à faire les choses plus que dignement, avec retenue, minutie, sans jamais perdre de vue d’où il vient (Exit Strategy to Myself aurait pu figurer sur un de leurs premiers disques) mais en refusant toute forme de facilité (Ship et Al Sur, brillantes sorties de route confiées à des voix féminines japonaise et espagnole, Saya du duo Tenniscoat­s et la chanteuse argentine Juana Molina, respective­ment).

Espèce rare.

Et en se permettant surtout, ici et là, le luxe de sommets délirants, comme Night’s Too Dark ou le très beau Loose Ends. Si 2021 ne pourra assurément pas se faire sans des artistes aussi vitaux, acides et féroces que Sleaford Mods ou Billy Nomates, elle devra aussi compter sur des gens comme The Notwist, espèce rare, quasi éteinte, maniant la mélancolie avec un naturel et une élégance qui lui confèrent de stupéfiant­es vertus curatives.

The Notwist

Vertigo Days (Morr Music)

 ?? Photo Johannes Maria Haslinger ?? The Notwist.
Photo Johannes Maria Haslinger The Notwist.

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