Deux ans d’un sacré chantier
Deux ans après l’incendie de la cathédrale, les chantiers se multiplient, les équipes continuant de restaurer les oeuvres et de nettoyer les murs. Après le démontage des échafaudages brûlés et la sécurisation de l’édifice, la flèche devrait être rebâtie d’ici 2024.
Cerné de hautes palissades, bardé de barbelés, le chantier de Notre-Dame de Paris est protégé comme le grand coffrefort de la Banque de France. A l’intérieur, on entend d’abord le bruit incessant des scies et des marteaux. Un brin déboussolé, l’oeil, lui, est saisi par la vision d’une forêt d’échafaudages évoquant une gigantesque installation d’art contemporain. «C’est une cathédrale d’acier», commente Didier Cuiset, le concepteur de ces structures. «Un échafaudage doit être beau et utile», dit-il encore. Les siens épousent les lignes du monument, serpentent le long des murs, protègent les oeuvres encore présentes dans Notre-Dame (les stalles sculptées du choeur notamment), à l’abri sous des planchers et de larges bâches blanches.
«Ces échafaudages vont servir aux derniers travaux de sécurisation et de restauration», explique Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, en charge de l’édifice, soucieux du bon emploi des dons généreux (environ 830 millions d’euros) qui ont afflué depuis l’incendie. Emmanuel Macron, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, et la maire de Paris, Anne Hidalgo, se déplaceront sur le chantier ce jeudi, deux ans après les flammes. «J’ai enfin oublié la cathédrale meurtrie, déglinguée. J’ai mis des pansements là où il fallait», résume Philippe Villeneuve. Sur le chantier, c’est lui le patron. Comme beaucoup d’autres, il a longtemps été traumatisé par sa nuit du 15 au 16 avril 2019. Ici flotte, enfin, un immense soulagement. Ce n’était pas arrivé depuis l’incendie qui a dévoré la toiture en plomb (400 tonnes) de Notre-Dame, sa remarquable (et rare) charpente en bois du XIIIe siècle et fait chuter la flèche néogothique du XIXe siècle de Viollet-le-Duc.
La cathédrale, c’est sûr maintenant, ne risque plus de s’écrouler. La menace a plané pendant plus d’un an et demi, jusqu’à ce que l’immense échafaudage extérieur, dressé avant l’incendie pour restaurer la flèche, gigantesque mikado noirci et tordu par les flammes, ait fini d’être démonté, le 25 novembre. «304 tonnes, exactement», détaille Didier Cuiset. En équilibre instable depuis l’incendie, il menaçait en permanence l’édifice. Sa chute, vu son poids, aurait été dramatique. A l’intérieur du monument, les très techniques et précises opérations réclament à chaque fois ingéniosité et imagination. Pour sa forêt d’échafaudages –800 tonnes réparties dans tout l’édifice –, Didier Cuiset a dû étayer la crypte, creusée sous la nef et consolider la salle des caveaux des archevêques, sous le choeur. «Notre-Dame est un gruyère, traversée de gaines de ventilations et de chauffages», explique-t-il. L’édifice, lui, est de guingois, ce qui rend compliqué l’ajustement des échafaudages les uns aux autres. «Les colonnes de la nef ne sont pas symétriques, elles sont décalées d’au moins 80 centimètres», a-t-il constaté.
Oculus de vitraux
«J’ai enfin oublié la cathédrale meurtrie. J’ai mis des pansements là où il fallait.» Philippe Villeneuve architecte en chef des monuments historiques
Pour l’heure, l’opération la plus spectaculaire a lieu à 27 mètres audessus du sol, au plus près des voûtes. Cette dernière phase de sécurisation de Notre-Dame a commencé en mars et devrait se terminer cet été. Il s’agit de placer des cintres en bois, pesant chacun une tonne et demie, sous les six voûtes les plus endommagées par l’incendie, dans le choeur, principalement. L’immense grue qui culmine, elle, à 90 mètres dépose chaque élément les uns après les autres sur une plateforme. Puis ils entrent à travers un oculus d’une des baies de vitraux, démontés quelques jours après l’incendie. En janvier, les charpentiers de l’entreprise Le Bras Frères se sont entraînés dans leur cour à Jarny (Meurthe-et-Moselle) pour la pose minutieuse et extrêmement précise de ces cintres sous les voûtes.
A l’intérieur de Notre-Dame, il y a d’autres chantiers dans le chantier. Sur deux chapelles, des travaux tests sont menés pour nettoyer et dépolluer des poussières de plomb, ainsi que restaurer les sculptures, les décors et les pierres. Le protocole sera ensuite dupliqué dans les 22 autres chapelles du monument. Restauratrice de peintures murales, Marie Parant a oeuvré plusieurs mois dans la chapelle Saint-Ferdinand, située dans le déambulatoire du choeur. «Le décalage entre notre travail avec nos petits pinceaux et nos petites couleurs et ce qui se passait ailleurs dans la cathédrale – le montage des échafaudages, la pose des cintres sous les voûtes – était impressionnant», raconte la restauratrice. Exigeant, le protocole lié à la pollution au plomb du site a été, selon Marie Parant, «très chronophage. Nous avons travaillé sous masque à ventilation assistée». Notre-Dame de Paris compte l’un des ensembles les plus remarquables de décors muraux de Viollet-le-Duc. «Le système est à peu près identique d’une chapelle à l’autre, un ciel bleu étoilé, des motifs géométriques, des éléments de la vie du saint», explique la restauratrice. Les décors muraux ont finalement
subi peu de dégâts, le déambulatoire étant à l’écart de la zone la plus endommagée. «Cela a surtout rajouté de la poussière», relève Marie Parant.
Egos entrechoqués
Ces premiers essais sont donc encourageants. Et ont aussi réservé de très belles surprises. Comme la découverte de traces de peinture inconnues sur des nervures de voûtes. «Les travaux de restauration vont permettre d’avoir une idée précise de la décoration de la cathédrale et de la dater», explique Philippe Villeneuve. Restaurée, la chapelle Saint-Ferdinand a retrouvé, elle, des tons chatoyants. Sombre, grisâtre et terne avant même l’incendie, Notre-Dame de Paris devrait, à l’issue de sa reconstruction, changer radicalement de visage. Les premiers nettoyages qui ont débarrassé murs et piliers de leur crasse, y compris les poussières de plomb, révèlent une pierre à la couleur inattendue, dorée et lumineuse.
Sur le chantier, il n’y a que des experts dans leur domaine, des caractères bien trempés, y compris (ou surtout) celui du général Jean-Louis Georgelin, à la tête de l’établissement public en charge de la restauration. Nommé quasiment le soir même de l’incendie par le Président, le militaire à la retraite mène tambour battant les travaux. Il lui faut maintenir, coûte que coûte l’échéance de 2024 fixée pour la réouverture de la cathédrale au public. Alors, évidemment, les egos s’entrechoquent. Au pied de NotreDame, la vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Ce chantier, rappelant ceux, emblématiques, du Moyen Age, l’époque grandiose des bâtisseurs, est scruté par le monde entier. En coulisse, Franck Riester, ministre de la Culture jusqu’en juillet, a été le bouclier protecteur du milieu du patrimoine et l’avocat de l’influent lobby des monuments historiques.
«Maintenant, nous sommes dans un élan positif, nous avançons», résume Philippe Villeneuve. En juillet, l’architecte a gagné la plus belle bataille de sa vie en obtenant l’accord de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture et la bénédiction d’Emmanuel Macron pour restaurer à l’identique la cathédrale. Exit le projet de geste contemporain pour la nouvelle flèche évoqué le chef de l’Etat. Début 2021, des chênes centenaires ont été abattus dans les forêts domaniales et privées afin de fournir le bois à la restauration de Notre-Dame. Qui sera, en fait, un hymne à Viollet-le-Duc, adulé par les milieux des monuments historiques, et grand sauveteur au XIXe siècle des bâtiments médiévaux.
La fin des travaux en 2024 ? L’architecte y croit dur comme fer. Oui, il aura restauré ce qui a été détruit par l’incendie. Et la nouvelle flèche se verra dans le ciel de Paris. Mais plutôt à l’automne, quelques mois après la tenue des Jeux olympiques dans la capitale. Pour autant, l’opération ne sera pas terminée. A l’extérieur, la cathédrale aura encore besoin de temps. •