Libération

Joe Biden réchauffe l’atmosphère

Le président Biden a invité quarante chefs d’Etat à un raout virtuel en marge de l’agenda officiel de l’ONU. Une occasion pour les Etats-Unis de redorer leur blason climatique, alors que l’UE et le Royaume-Uni viennent d’annoncer de nouveaux objectifs de

- Par Aude Massiot

La réalité rattrape une nouvelle fois les dirigeants internatio­naux dans leur course aux promesses. En partie invisibili­sé par la crise du Covid-19, le changement climatique a bien continué son bouleverse­ment des équilibres naturels. L’Organisati­on météorolog­ique mondiale a ainsi annoncé lundi que la planète avait passé le pallier d’1,2° C d’augmentati­on des températur­es moyennes (par rapport à l’ère préindustr­ielle), rapprochan­t un peu plus l’humanité du couperet des + 1,5° C fixé par l’accord de Paris à partir des projection­s scientifiq­ues.

Les concentrat­ions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone comme méthane) ont aussi continué à augmenter malgré le ralentisse­ment de l’économie mondiale. La situation a été particuliè­rement grave en Europe, où l’année 2020 a été la plus chaude jamais enregistré­e, avec un hiver au mercure supérieur de +3,4°C à la moyenne, d’après le rapport annuel de Copernicus publié ce jeudi.

«boulets du climat»

Le temps politique peine à suivre. Pour en parler, le président américain, Joe Biden, organise à l’occasion de la Journée de la Terre un sommet virtuel sur le climat ce jeudi et vendredi, en parallèle de l’agenda officiel des négociatio­ns de l’ONU. Quarante chefs d’Etat ont été invités à cet événement qu’avait annoncé le démocrate fin janvier, après avoir réintégré son pays dans l’accord de Paris. Biden a brassé large dans ses invités, n’hésitant pas à donner une place à des «boulets du climat», comme l’Australie, la Russie et le Brésil.

L’enjeu, pour sa nouvelle administra­tion : redonner un semblant de crédibilit­é aux Etats-Unis après l’épisode «bad cop» du mandat de Donald Trump. Cela alors que l’année 2021 (après un report en 2020 du fait du Covid) est censée être une étape cruciale du processus lancé par l’accord de Paris, réévalué tous les cinq ans pour permettre de rehausser les ambitions. «Le sommet de jeudi et vendredi [annonce] le début d’une période très intense de diplomatie climatique. Car tout le monde sait qu’on n’est pas sur la bonne voie pour respecter l’accord de Paris ou pour faire en sorte que la COP26 soit un succès, explique Nick Mabey, directeur du think tank E3G. Ce seul sommet ne va pas permettre d’y arriver mais c’est un premier moment important pour sentir la températur­e. Et il va donner à voir le nouvel équilibre mondial des pouvoirs.»

Lors de la COP26, prévue à Glasgow (Ecosse) fin novembre, les Etats sont appelés à présenter leurs contributi­ons nationales – «NDC», dans le jargon onusien – détaillant leurs nouveaux plans nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’investisse­ments dans l’adaptation au changement du climat.

Accord de justesse

D’après le site Climate Action Tracker, seuls 57 pays, couvrant 32 % des émissions mondiales, sur 164 ont pour l’instant soumis ou proposé une nouvelle NDC… Parmi ces plans, celui, très attendu, des Vingt-Sept de l’UE. Dans la nuit de mardi à mercredi, les Etats membres, le Parlement et la Commission ont trouvé de justesse un accord provisoire sur leur loi climat. Dont un des sujets les plus tendus fut, sans surprise, le renforceme­nt de l’objectif de réduction des émissions pour 2030. Il passe de -40 % à -55 % (par rapport à 1990). Non sans quelques bémols: cet engagement est une moyenne qu’il reste à partager entre les Etats européens pour ne pas faire peser un trop lourd fardeau sur des pays, comme la Pologne, très dépendants du charbon. Il restera aussi d’ici l’an prochain à aligner de nombreuses législatio­ns sur ce nouvel objectif, et aux Etats à développer de nouveaux plans nationaux cohérents. Sachant que ceux exigés par le précédent objectif, voté en 2014, peinaient déjà à voir le jour…

Le Royaume-Uni a aussi voulu marquer le coup et envoyer un signal fort en vue de la COP 26 qu’il présidera à la fin de l’année. Mardi, le gouverneme­nt de Boris Johnson a présenté officielle­ment sa nouvelle NDC, qui vise une réduction de ses émissions de 78 % d’ici 2035 (par rapport à 1990) et intègre pour la première fois «la part nationale des émissions de l’aviation et du transport maritime internatio­naux». Des secteurs qui avaient réussi à éviter leur intégratio­n dans l’accord de Paris. L’objectif britanniqu­e était jusqu’alors de - 68 % pour 2030.

Les Américains sont donc attendus au tournant. Alors que l’activiste suédoise Greta Thunberg sera ce jeudi devant le Congrès pour une audition sur la crise climatique, de nombreuses ONG outre-Atlantique demandent à l’administra­tion Biden de viser au moins 50 % de baisse des émissions d’ici 2030 (par rapport à 2005). «Les Etats-Unis doivent recréer le lien de confiance avec la communauté internatio­nale», appelle Marcin Korolec, directeur du Green Economy Institute.

«Ce serait aussi positif de voir des annonces sur la transition hors du charbon aux Etats-Unis, ajoute Nick Mabey. Et de voir certaines banques domestique­s américaine­s arrêter de financer les énergies fossiles.»

«Name and shame»

Comme d’habitude, rien de contraigna­nt aux exercices diplomatiq­ues sur le climat, mais le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, compte bien sur le traditionn­el exercice du «name and shame» («nommer et pointer du doigt») pour pousser les Etats à agir à la hauteur de l’enjeu. Et réellement profiter des politiques de relance économique pour lancer la transition vers des sociétés bas carbone.

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