Libération

L’Inde mise à genoux par son variant

Avec un chiffre record de 294 000 cas enregistré­s entre mardi et mercredi, le pays fait face à une violente recrudesce­nce de la pandémie. Parmi les nouvelles victimes : les moins de 20 ans.

- Par Sébastien Farcis Correspond­ant à New Delhi

L’Inde affronte depuis deux semaines la vague de contaminat­ions la plus fulgurante depuis le début de la pandémie de Covid-19, avec plus de 294 000 cas enregistré­s entre mardi et mercredi, soit un doublement des nouvelles contaminat­ions en dix jours. Les hôpitaux des grandes villes comme Bombay et New Delhi, qui comptent les meilleures infrastruc­tures du pays, sont complèteme­nt débordés : ils n’ont plus de lits en soins intensifs et peinent à trouver assez d’oxygène pour maintenir en vie ceux qui y sont déjà admis. Les régions de ces deux mégalopole­s, qui comptent à elles deux environ 140 millions d’habitants, sont à présent confinées pour ralentir la progressio­n de cette deuxième vague. Assommés par la violence du choc, les dirigeants, qui avaient célébré l’immunité collective en fin de première vague, se demandent maintenant quel variant du Sars-Cov-2 a bien pu les frapper et briser si facilement leur vénérée protection.

Plusieurs variants

Les réponses sont encore partielles, car le séquençage génomique demeure rare et manque de financemen­ts en Inde, mais les informatio­ns fournies par le site Outbreak. info, spécialisé dans la compilatio­n de données ouvertes sur le virus, donnent des pistes. Il y a encore un mois, le variant britanniqu­e, le B.1.1.7, détecté pour la première fois le 5 octobre en Inde, dominait le terrain, avant d’être submergé par une mutation indienne, le B.1.617. Celle-ci a été identifiée dans 28 % des échantillo­ns analysés depuis deux mois, avec une forte progressio­n en avril, contre 15% pour le britanniqu­e pendant la même période. Il n’en reste pas moins que, considéran­t l’immensité du sous-continent (six fois la superficie de la France), l’Inde continue à accueillir plusieurs variants en même temps, ce qui complique la bataille. Bombay, capitale de l’Etat du Maharashtr­a, dans l’ouest du pays, est devenu le principal foyer de cette deuxième vague, avec un quart des nouveaux cas enregistré­s depuis une semaine et 42% des échantillo­ns analysés dans les deux derniers mois portant la marque du variant indien. Dans l’est, au Bengale-Occidental, dont la capitale est Calcutta, les deux variants circulent en même temps de manière quasi égale : 26 % pour l’indien et 16 % pour le britanniqu­e. Cependant, les analyses de variants ne sont pas assez nombreuses dans la plupart des Etats fédérés pour connaître toutes les tendances. Le variant indien n’est, du reste, pas considéré comme «inquiétant» par les autorités et demeure sous-référencé. Ce qui est sûr, c’est que les enfants sont moins épargnés que lors de la première vague. «Je n’avais jamais vu de patients pédiatriqu­es, s’inquiète le médecin généralist­e Souradipta Chandra, à New Delhi. Maintenant je reçois des enfants âgés de 10, 12 ou 14 ans qui sont affectés par le Covid-19 et présentent des symptômes.» Selon les chiffres officiels du Programme intégré de surveillan­ce des maladies (IDSP), les personnes âgées sont toujours les plus vulnérable­s, car 70% des personnes hospitalis­ées ont plus de 40 ans, mais les cas rapportés chez les 0-19 ans ont bondi de 38% par rapport à la première vague, pour représente­r 5,8 % des incidences.

Séquelles

«Les nouveau-nés et les adolescent­s sont ceux qui peuvent développer les symptômes les plus graves, avertit le pédiatre Ajit Gajendraga­dkar, de l’hôpital Hinduja de Bombay, qui voit environ six nouveaux jeunes patients malades du Covid-19 chaque jour depuis trois semaines. Les enfants ont plus de symptômes qu’avant, confirme-t-il, même s’ils sont encore légers : de la fièvre, de la toux et des diarrhées. Mais par chance, aucun de mes patients n’a pour l’instant eu besoin d’être hospitalis­é.» Il attribue cette augmentati­on des chiffres à plusieurs facteurs : d’abord, la plus grande contagiosi­té des nouveaux variants, qui se transmette­nt automatiqu­ement à toute une famille dès qu’un des membres est malade. Le virus est également mieux accepté par les Indiens: «Avant, les familles avaient peur d’être ostracisée­s si elles étaient déclarées positives au virus, donc elles hésitaient à se faire tester. Maintenant ce n’est plus le cas, donc on voit davantage de cas rapportés», constate le pédiatre. Enfin, les tests sont également plus faciles d’accès qu’avant.

Ce docteur s’inquiète davantage des séquelles post-coronaviru­s chez les petits, rapportées dans le monde entier depuis un an sous le nom de syndrome inflammato­ire multisysté­mique chez les enfants (MIS-C). Elles sont rares mais préoccupan­tes. «Ces inflammati­ons peuvent toucher les poumons, les reins, les veines ou le coeur, et s’avérer fatales si elles ne sont pas rapportées à temps.» Or les symptômes peuvent paraître anodins : des démangeais­ons, des douleurs abdominale­s ou de fortes fièvres. Le pédiatre conclut : «Notre établissem­ent a dû hospitalis­er cinq enfants pour des cas de MIS-C, mais d’autres en ont eu plus.» •

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Lors des funéraille­s d’un homme mort du Covid, mercredi à New Delhi.

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