Libération

A droite, un silence lourd de sens

Fini les grandes ripostes contre le RN autour de l’Europe ou de l’économie. Au regret de certains, LR joue la carte de l’indifféren­ce et concentre ses coups sur Macron.

- Dominique Albertini

Les régionales seront chaudes en Occitanie : on pouvait l’imaginer après l’altercatio­n survenue fin mars entre le candidat Les Républicai­ns (LR) Aurélien Pradié et celui du Rassemblem­ent national (RN) Jean-Paul Garraud, à la sortie d’un débat télévisé. Le numéro 3 de LR le sait : face à la gauche sortante, il ne part pas favori. L’homme veut créer son espace par un affronteme­nt frontal avec le RN, auquel il entend disputer le rôle de premier opposant.

«Victime». Droite contre extrême droite : le face-à-face est brutal, aussi, là où les deux camps sont seuls en présence. C’est le cas dans les conseils régionaux des Hauts-de-France et de Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca), à la suite des désistemen­ts de la gauche en 2015. Leur prochain affronteme­nt y aura des airs de lutte à mort. Ces tensions, pourtant, contrasten­t avec le discours national de la droite, ou plutôt avec sa grande réserve. D’autant que les programmes n’ont jamais été aussi proches sur les questions culturelle­s, et leurs électorats si potentiell­ement poreux. Résultat, si à LR on ne dit jamais de bien du RN, il est rare, désormais, que l’on s’en prenne directemen­t au parti lepéniste.

Celui-ci fut à peine évoqué lors des grands rassemblem­ents de La Baule (Loire-Atlantique) et Port-Marly (Yvelines), l’été dernier. Passé la formule rituelle qui veut que LR et RN n’aient «rien en commun», c’est sur Emmanuel Macron que furent portés tous les coups des orateurs. Un procédé justifié par plusieurs cadres du parti. «Tout le monde tape sur le RN, Macron ne fait que ça, donc nous sommes moins indispensa­bles dans ce rôle», e stime le député d’Eureet-Loir Olivier Marleix. Sur le RN, «que voulez-vous qu’on dise ? abonde le député de Moselle et secrétaire général adjoint de LR Fabien di Filippo. Macron est au pouvoir, c’est entre lui et nous».

«Pasqua disait : quand on travaille pour Ricard, on ne parle pas de Pernod», sourit le maire LR du XVIe arrondisse­ment de Paris, Francis Szpiner. Quant au président du parti, Christian Jacob, interrogé par les Echos sur la proximité entre certaines idées de LR et du RN, il a indiqué se «contrefich­er des propositio­ns de Marine Le Pen». Une autre approche que celle de Jean-François Copé: président de l’UMP, celui-ci lançait en 2011 une «cellule de riposte» au Front national. Y contribuai­t notamment… le secrétaire d’Etat Thierry Mariani, depuis passé au lepénisme !

L’extrême droite, «je ne lui tape dessus que lorsqu’elle m’agresse ou commet une erreur incontesta­ble, théorise Julien Aubert, député de Vaucluse, l’ex-départemen­t d’élection de Marion Maréchal. L’électeur RN se sent victime : si vous attaquez son parti, il fait corps, comme le catholique qui ne met pas les pieds à la messe, mais ne supporte pas qu’on touche à son Eglise. Quand vous tapez sur Macron, les gens qui votent RN vous soutiennen­t; quand vous tapez sur Le Pen, vous les obligez à choisir et ils détestent ça. Le meilleur adversaire, c’est celui qui rassemble les gens : dans mon départemen­t, c’est la gauche».

D’autres, moins nombreux, déplorent la retenue de leur parti. «Il y a de l’indifféren­ce visà-vis du RN et c’est une erreur, juge un membre important de LR. L’idée est que, si on tape, on ne pourra pas récupérer leur électorat. Le problème est qu’avec le RN, on partage le constat, mais pas les solutions, alors qu’avec Macron on ne partage même pas le constat. Et puis, ce n’est pas Marine Le Pen qui est aux responsabi­lités. Mais le RN, lui, nous tape dessus matin, midi et soir, en nous accusant de complaisan­ce ou d’islamo-droitisme !»

«Notre peau». Pour le président du groupe LR à l’Assemblée, Damien Abad, «nous n’avons pas à retenir nos critiques vis-à-vis du RN. Sur le plan économique, il est proche du socialisme, sur le plan migratoire, ses slogans sont irréalisab­les. Et il ne faut pas oublier qu’il veut notre peau». L’élu le revendique : «Si nous n’étions pas au second tour et qu’il fallait voter Macron contre Le Pen, je le referais.» Mais il dit comprendre «ceux qui ne veulent pas répondre à cette question, parce qu’elle nous enferme dans l’idée d’une éliminatio­n. Demande-t-on à Macron pour qui il voterait ?»

Le débat prend pourtant son envol chez LR, où plusieurs figures ont récemment pris position. Si le président du Sénat, Gérard Larcher, reste partisan du barrage, le numéro 2 du parti, Guillaume Peltier, a récemment refusé de l’envisager : «Je ne me suis pas engagé en politique pour faire barrage à qui que ce soit», a justifié celui qui avait déjà voté blanc en 2017. Même position chez Aubert, qui revendique quant à lui un bulletin nul il y a cinq ans : au second tour, le député avait voté… François Fillon.

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