Aux Etats-Unis, un mince espoir de réforme de l’ordre
Derek Chauvin a été reconnu mardi coupable du meurtre de l’Afro-Américain en mai dernier, relançant les mobilisations pour réformer les 18 000 polices du pays. Une majorité de la population y serait favorable, mais les sénateurs républicains pourraient b
Le soulagement d’abord, puis l’espoir que les choses changent, enfin et en profondeur. La condamnation mardi de l’ancien policier Derek Chauvin, reconnu coupable du meurtre de George Floyd après trois semaines d’un procès sous haute tension, se prête à une double lecture : une «victoire pour la justice» mais aussi «un tournant dans l’histoire», a résumé Ben Crump, l’avocat de la famille Floyd. Ce verdict peut permettre «un gigantesque pas en avant dans la marche de l’Amérique vers la justice», a déclaré de son côté Joe Biden, exhortant le Congrès à «agir» en adoptant la réforme «significative» de la police, défendue depuis un an par le camp démocrate. «Nous avons une chance de commencer à changer la trajectoire de ce pays», a-t-il martelé.
«Immunité qualifiée»
Voté en juin puis à nouveau en mars par la Chambre des représentants à majorité démocrate, mais dans l’impasse au Sénat, le «Justice in Policing Act» constitue «le texte de loi le plus transformateur de l’histoire des Etats-Unis en matière de maintien de l’ordre», estime Rashawn Ray, spécialiste des inégalités raciales et des brutalités policières à la Brookings Institution. Ce projet de loi de 138 pages, qui porte le nom de George Floyd, ambitionne de réformer à la fois les méthodes des nombreuses polices américaines (18 000, presque toutes locales), leur formation et les comptes qu’elles doivent rendre. Il vise ainsi à faciliter les plaintes pour violences policières, en mettant fin à «l’immunité qualifiée», une doctrine légale qui protège largement les agents des poursuites judiciaires.
Le «Justice in Policing Act» bannirait au niveau national la clé d’étranglement, une méthode employée notamment en 2014 contre Eric Garner, mort des suites de son interpellation à New York. La supplique de ce père de famille noir, «I can’t breathe» («Je ne peux pas respirer»), s’est imposée ces dernières années comme un cri de ralliement des militants contre les violences et les préjugés racistes de la police. La pratique des «no-knock warrants», qui permettent aux forces de l’ordre de pénétrer chez un suspect sans frapper, serait également interdite pour les infractions liées aux stupéfiants. Conséquence de l’affaire Breonna Taylor, une ambulancière noire de 26 ans tuée l’an dernier à son domicile au cours d’un raid nocturne antidrogue qui ne la visait pas.
Toutes ces dispositions dessinent en filigrane la volonté d’une refonte majeure de la police, que nombre d’élus et citoyens voudraient moins violente, moins biaisée, moins militarisée mais aussi moins présente. Derrière le slogan «Defund the police», de nombreux activistes demandent une réallocation d’une partie des budgets colossaux des forces de l’ordre à des politiques sociales, dont une meilleure prise en charge de la santé mentale ou des addictions. Ce que certaines villes, comme San Francisco ou Austin, ont commencé à faire. «Des policiers armés devraient-ils être les premiers à intervenir en cas d’infraction routière, d’accidents, de crise de santé mentale ou pour prendre en charge un sans-abri ? interroge Paul Hirschfield, professeur de sociologie à l’université Rutgers. Le meurtre de George Floyd a poussé de nombreux citoyens et dirigeants à repenser et réimaginer le maintien de l’ordre.» Amnesty International a appelé mercredi à «réduire la présence et le périmètre d’action des responsables de l’application des lois dans la vie quotidienne» aux Etats-Unis.
Minorité de blocage
Même si une majorité d’Américains y est favorable, l’espoir d’une révolution au sein de forces de police qui tuent chaque année plus d’un millier de personnes, dont un nombre disproportionné de jeunes Noirs et Hispaniques, est infime. La faute à la minorité de blocage dont dispose le Parti républicain au Sénat. «Les appels au changement ont été forts et soutenus, dans des villes petites et grandes, dans des Etats démocrates et républicains. En dépit d’un consensus, il semble improbable que le Congrès agisse», regrette Daniel Harawa, professeur de droit à la Washington University de Saint-Louis. Selon un récent sondage publié par le site Vox, la quasi-totalité des dispositions du projet de loi démocrate recueillent un soutien majoritaire. L’enquête met aussi en lumière une double fracture, raciale et générationnelle : si 63 % des Américains disent faire confiance à la police –parmi lesquels 78 % des républicains et 48 % des démocrates –, ils ne sont que 32 % au sein de la
communauté noire et 30 % chez les moins de 30 ans.
Faute de réforme au Congrès, Joe Biden pourrait faire usage de ses prérogatives. Mercredi, le ministère de la Justice a ainsi lancé une enquête sur la police de Minneapolis, pour déterminer si elle fait systématiquement un usage excessif de la force. Le cas échéant, une procédure judiciaire pourrait ensuite contraindre la ville du Minnesota à réformer sa police. •