Libération

«Un pas vers la justice»

La condamnati­on de Derek Chauvin pour le meurtre de George Floyd a été accueillie avec soulagemen­t par les habitants de Minneapoli­s, après trois semaines de procès où transpirai­t l’émotion.

- Isabelle Hanne

«Une journée mémorable pour nous, et pour tous les Etats-Unis», salue Douglas Ewart, un musicien d’origine jamaïcaine qui vit à Minneapoli­s, à deux pas du lieu de l’interpella­tion fatale de George Floyd. L’annonce, mardi, du verdict de culpabilit­é du policier blanc Derek Chauvin pour le meurtre de l’AfroAméric­ain a été cathartiqu­e pour la ville. Et pour le pays tout entier, meurtri par des décennies d’acquitteme­nts, voire d’absence d’inculpatio­n de policiers, très protégés dans ce type d’affaires. La condamnati­on a provoqué des scènes de liesse dans la plus grande ville du Minnesota, en particulie­r au George Floyd Square, l’intersecti­on du drame devenue mémorial. Douglas a participé en musique aux célébratio­ns : «Une parenthèse merveilleu­se, raconte l’artiste. Ça m’a fait réaliser à quel point on vit dans un état permanent de stress et de tension depuis près d’un an, avec la garde nationale, la police partout. Hier, tout le monde s’était préparé au pire.» Alors que débutait le procès fin mars, nombreux étaient ceux qui disaient ne rien en attendre, et redouter une nouvelle explosion de colère alors que la ville porte encore les stigmates de celle du printemps dernier. «Je n’ai jamais mis beaucoup d’espoir ou de foi dans le système judiciaire américain», soulignait ainsi Kandace Montgomery, fondatrice de l’organisati­on locale Black Visions Collective.

«Convergenc­e».

Après trois semaines d’un procès hors-norme, les jurés ont reconnu coupable Derek Chauvin, 45 ans, des trois chefs d’inculpatio­n qui le visaient – meurtre, homicide involontai­re et violences volontaire­s ayant entraîné la mort. Soulignant la «grande rareté» d’un tel verdict, le président, Joe Biden, a rappelé mardi soir «l’extraordin­aire convergenc­e de facteurs» qui l’a permise : «Une jeune femme courageuse, avec la caméra de son smartphone ; une foule de témoins traumatisé­s ; un meurtre qui a duré presque dix minutes en plein jour, aux yeux du monde; des policiers qui ont témoigné contre un collègue au lieu de serrer les rangs ; un jury qui a mené son devoir civique, sous une immense pression.»

Le 25 mai, George Floyd avait été interpellé près de Cup Foods, une supérette dont les employés le soupçonnai­ent d’avoir écoulé un faux billet de 20 dollars. «Il lui a été demandé de sortir de sa voiture», mais il a «résisté physiqueme­nt aux policiers», indique le premier communiqué de la police de Minneapoli­s. Qui conclut seulement: «Les policiers ont pu le menotter et ont remarqué qu’il semblait être en détresse médicale. Il est mort peu après dans l’ambulance qui le transporta­it» à l’hôpital. Nulle mention de Derek Chauvin maintenant son genou neuf minutes et vingt-neuf secondes sur le cou de Floyd, plaqué au sol. Nulle mention de la vingtaine de fois où il a imploré d’un «Je ne peux pas respirer». Sans les images filmées par les passants, les choses auraient pu en rester là. Des milliers d’Américains n’auraient sans doute pas protesté pendant des semaines, montrant leur déterminat­ion. Chauvin, déjà une vingtaine de plaintes restées sans suite à son encontre en dixneuf ans dans la police, aurait probableme­nt encore son badge. Quant à Floyd, il serait resté une victime anonyme, parmi le millier qui meurt chaque année lors d’une interventi­on policière aux Etats-Unis.

Brèche.

L’émotion était palpable lors du procès, retransmis en direct, une première pour le Minnesota. Notamment à son ouverture, avec le témoignage de Darnella Frazier, la jeune femme qui a filmé la vidéo de la scène devenue virale. «Certaines nuits, je n’arrive pas à dormir et je m’excuse auprès de George Floyd de n’avoir pas fait plus, a-t-elle raconté, en larmes mais le visage jamais montré par la caméra (elle était mineure au moment des faits). Quand je pense à George Floyd, je vois mon père, mes frères, mon cousin, mon oncle. Ils sont tous noirs. Ça aurait pu être eux.»

Le procès de Derek Chauvin restera celui d’une brèche, inhabituel­le, dans le «blue wall of silence», ce code implicite des policiers pour protéger les leurs. Premier Noir à diriger la police de Minneapoli­s, Medaria Arradondo a condamné l’attitude de Chauvin, l’accusant d’avoir «violé» les procédures. «Ça ne fait d’aucune manière partie de notre entraîneme­nt, et certaineme­nt pas de notre éthique et de nos valeurs», a-t-il martelé. Les trois autres policiers qui ont participé à l’arrestatio­n de Floyd seront jugés en août pour «complicité». Kim Potter, la policière blanche qui a tué il y a dix jours Daunte Wright, un jeune Noir de 20 ans, lors d’un contrôle routier dans la banlieue de Minneapoli­s a, elle, été inculpée d’homicide involontai­re. «Ce verdict, ça a été un pas vers la justice, et quand il y a des victoires, nous devons les reconnaîtr­e, reprend Douglas Ewart. Mais ce n’est qu’un tout petit début.»

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