Libération

«L’Europe rate l’occasion de se positionne­r en leader»

Pour l’eurodéputé­e écologiste Marie Toussaint, l’UE manque d’ambition en matière climatique et devrait faire preuve de plus d’exemplarit­é.

- Recueilli par Coralie Schaub

L’Union européenne tentera de faire bonne figure au sommet sur le climat organisé par Joe Biden, jeudi et vendredi, après un accord in extremis entre eurodéputé­s et Etats membres sur une réduction nette d’«au moins 55 %» de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030, objectif jugé insuffisan­t par les ONG environnem­entales. Une position partagée par l’eurodéputé­e verte Marie Toussaint. Que pensez-vous de l’accord trouvé à Bruxelles ? Les objectifs qui ont été actés ne sont malheureus­ement pas à la hauteur des enjeux. Les négociateu­rs du Parlement européen et des Etats membres de l’UE communique­nt sur l’objectif de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’«au moins 55%» d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, voire de 57 %. Mais c’est en misant notamment sur l’augmentati­on de la contributi­on des puits de carbone naturels grâce à l’agricultur­e ou la sylvicultu­re. Si on prend les mêmes instrument­s de calcul que ceux inscrits dans la loi aujourd’hui et qu’on exclut les puits carbone, l’objectif réel qui a été adopté est de 52,8 %. L’accord passé est donc un trompe-l’oeil. Or les scénarios scientifiq­ues disent que pour respecter l’accord de Paris sur le climat, l’Europe doit aller vers une réduction de 65 % des émissions de GES d’ici 2030. Nous en sommes tragiqueme­nt éloignés. On ne doit pas manquer le coche : il y a une possibilit­é historique ouverte par le mandat de Joe Biden. Cette conjonctio­n doit permettre un sursaut pour le climat.

Que peut-on attendre du sommet climat des Etats-Unis ?

La nouvelle administra­tion américaine a mis beaucoup de choses sur la table, avec la perspectiv­e d’objectifs climatique­s rehaussés. Elle a fait voter un plan de relance qui est plus solide que celui de l’Union européenne, à la fois sur les montants et sur la déterminat­ion politique déployée. Et enfin, un changement de modèle économique profond au niveau mondial. Biden n’est certes pas écologiste mais les Etats-Unis ont proposé la taxation de l’activité des multinatio­nales, qui constitue un pas essentiel dans la lutte contre les paradis fiscaux, ou encore le fait d’élaborer des critères de gouvernanc­e des entreprise­s notamment en matière climatique qui puissent s’appliquer partout.

Qu’est-ce que cela devrait ou pourrait changer pour l’Union européenne ?

Nous devons aller plus loin. Jusqu’à présent, l’Europe hésite à franchir le pas de l’écologie et rate l’occasion de se positionne­r en véritable leader mondial. Les Etats membres manquent d’ambition et l’UE reste du coup prisonnièr­e d’un agenda obsolète.

Le monde n’est donc près de respecter l’accord de Paris ?

A ce jour, pas du tout. Les émissions de GES devraient selon l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE) augmenter de près de 5% en 2021, et les investisse­ments dans les énergies renouvelab­les ne se substituen­t pas à ceux dans les énergies fossiles, ce qui prouve qu’on ne change pas de logique.

Le projet de taxe carbone européenne aux frontières ne risque-t-il pas d’attiser les tensions avec la Chine ?

La taxe carbone aux frontières est essentiell­e, mais soyons exemplaire­s. L’Union européenne ne peut pas donner des leçons au reste du monde quand elle-même ne met pas en place une politique permettant de respecter l’accord de Paris. Il faut qu’il y ait des avancées en Chine, et que l’UE prenne ses responsabi­lités en matière notamment d’importatio­n de produits dont la fabricatio­n a nécessité beaucoup d’émissions de CO2 et de ceux issus de la déforestat­ion. Or le marché européen joue encore un rôle mondial très fort en la matière et on n’a toujours pas légiféré sur l’ensemble de ces enjeux. On doit être extrêmemen­t vigilants, alors que toute l’attention se focalise sur la crise sanitaire et économique, à ne pas laisser se diluer la question climatique. Les lois de l’économie ne peuvent plus être au-dessus des lois de la nature.

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