Libération

Latche, l’autre pays du pouvoir

La maison de vacances acquise par François Mitterrand pour abriter sa maîtresse Anne Pingeot deviendra en fait le décor de son ascension politique.

- Alain Auffray

Au début des années 60, François Mitterrand tombe sous le charme d’une vieille ferme en ruine, isolée parmi les pins de la forêt des Landes. Ce sera Latche. Le quadragéna­ire rêvait d’en faire le refuge de ses amours clandestin­es avec Anne Pingeot, la toute jeune bachelière dont il venait de tomber amoureux. En fait, Latche sera surtout le décor de son ascension politique, le fief du fondateur du Parti socialiste, du président de la République et de sa famille officielle. De l’Américain Kissinger au Russe Gorbatchev en passant par le chancelier allemand Helmut Kohl, beaucoup des grands de ce monde seront reçus à Latche. Tous auront droit aux mêmes rituels : l’inévitable visite au couple d’ânes dont Mitterrand vante l’intelligen­ce et le petit côté «force tranquille» et promenade parmi les arbres, chênes et pins, à propos desquelles le maître de Latche est intarissab­le. Raconter cette grande maison basse et sa bergerie attenante, c’est faire le portrait d’un Mitterrand patriarche, sentimenta­l, terrien, bâtisseur, cultivant autant la compagnie que la solitude. C’est ce à quoi se sont employés, dans un récit érudit et nostalgiqu­e, les journalist­es Yves Harté et JeanPierre Tuquoi.

Amant.

Quand il découvre cette bâtisse délabrée, construite au XIXe siècle pour un de ces fermiersge­mmeurs qui récoltaien­t la résine des pins, Mitterrand fait figure de préretrait­é de la vie politique : onze fois ministre sous la IVe République, le retour du général de Gaulle a fait de lui un homme du passé. En attendant des jours meilleurs, il passe ses étés en famille dans la très chic station balnéaire d’Hossegor. On y joue au tennis et au golf, on dîne dans la somptueuse villa de l’industriel Pierre Pingeot, le père d’Anne. A vingt minutes d’Hossegor, la maison endormie sous son lourd son toit de tuiles romaines est bien loin de cette agitation. Pas de route : pour s’y rendre, il faut prendre un petit chemin sablonneux. Au fil des décennies, Mitterrand n’aura de cesse d’agrandir son domaine, jusqu’à en faire une sorte de petit hameau familial avec sa bergerie-bibliothèq­ue, les maisons des enfants et, bientôt, des petits enfants. Son épouse Danielle y cultive du miel et y retrouve son amant, lequel a sa chambre à Latche et fait quasiment partie de la famille.

Grignotage.

Pas moins de trente actes notariés seront nécessaire­s pour passer de mille mètres carrés au moment de l’acquisitio­n en 1965 aux 70 hectares de 1996, à la mort de l’ancien président. Ce lent grignotage sera laborieux. Le propriétai­re, un baron Etchegoyen qui avait consenti à vendre la bâtisse en septembre 1965, rechignera, six mois plus tard, à céder les terrains contigus. C’est qu’entre-temps, en décembre 1965, ce Mitterrand avait eu le culot de mettre en ballottage l’homme du 18 Juin. Le baron gaulliste ne pardonnera pas cet affront et fera de la résistance jusqu’à l’élection présidenti­elle de 1981.

Yves Harté et Jean-Pierre Tuquoi Latche, Mitterrand et la maison des secrets Seuil, 235 pp., 18 € (ebook :

11,99 €).

 ?? Keystone.Gamma.Rapho ?? Danielle et François Mitterrand devant leur maison de Latche, en avril 1974.
Keystone.Gamma.Rapho Danielle et François Mitterrand devant leur maison de Latche, en avril 1974.

Newspapers in French

Newspapers from France