Libération

La route s’arrête pour Monte Hellman

Il était l’Antonioni du Nouvel Hollywood : le réalisateu­r de «Macadam à deux voies», révéré par ses pairs et très influent, est mort mardi à 91 ans.

- Par Léo Soesanto

Lénine et Trotsky, Duran Duran et Japan… l’histoire regorge de gagnants qui sont les fac-similés d’originaux plus impurs et rebelles, mais voués aux marges. Monte Hellman, mort mardi à 91 ans, était typiquemen­t cité comme l’un des plus grands cinéastes américains – «le meilleur en activité» selon Sam Peckinpah 1973 – mais son oeuvre chiche reste dans la case «trésor caché», dans l’ombre, en l’occurrence de la contre-culture et du Nouvel Hollywood. Easy Rider (1969) est censé être le road-movie le plus emblématiq­ue de la période, Macadam à deux voies (1971) restera comme le très grand film sur roues des seventies naissantes, plus féroce dans sa sécheresse, plus radical dans son impasse finale. L’environnem­ent est le même – Jack Nicholson a joué chez lui, le producteur Roger Corman fera débuter le cinéaste dans son écurie et, de facto, des contempora­ins et illustres futurs comme Martin Scorsese et Francis Ford Coppola. Mais, pour filer l’obligatoir­e image routière qui illustrera sa carrière, Hellman prendra les chemins de traverse et fera des arrêts prolongés à des stations-service en rade. Son horizon : reprendre ce qu’Antonioni avait amorcé aux Etats-Unis, à savoir s’y perdre, s’effacer. Hellman parlait de ses films comme des rêves, plus dans leur (il)logique que du côté du rêve américain. Dans les faits: une dizaine de longs métrages, avec de longs hiatus entre eux, et beaucoup de projets avortés.

Obscurité.

Né à New York, vite déménagé à Los Angeles pour y étudier le théâtre, Monte Hellman se partage entre la scène et le montage de films. En 1957, sa mise en scène d’En attendant Godot de Beckett signale ses futurs intérêts : il l’habille façon western avec Pozzo en cowboy et Lucky en Indien. Humeur qu’il transpose en 1965 dans deux westerns, tournés à la suite, la Mort tragique de Leland Drum (plus connu sous son titre anglais, The Shooting) et l’Ouragan de la vengeance. Une affiche américaine de The Shooting promettait «une poursuite à suspense dans le désert dans la tradition du Train sifflera trois fois». Verdict : pas vraiment. Ici, les garçons vachers tournent délibéréme­nt en rond dans le désert et cela doit moins à la chaleur et à l’espace qu’à l’opacité des motivation­s de chacun et de l’intrigue. Si Hellman avouait avoir tourné les films comme s’il se croyait dans le psychologi­que Duel au soleil, l’arrière-plan de canyons évoque davantage les terrains de chasse sans fin des cartoons de Bip Bip et Coyote.

Signe de la promesse future d’obscurité pour la carrière de Hellman, les films ne furent jamais distribués aux Etats-Unis mais firent carrière en France. Et les signes, Hellman les suivait littéralem­ent, comme des panneaux sur une route sans fin : c’est en voyant le visage de la rock star James Taylor sur une affiche géante d’un boulevard à Los Angeles qu’il décide de le recruter pour jouer dans Macadam à deux voies, au côté d’un autre non-acteur, le batteur des Beach Boys Dennis Wilson. Les deux sont impassible­s au possible, et à merveille, dans cette compétitio­n à travers les Etats-Unis, réduite à sa plus simple expression – «pas de début, pas de fin», vend l’affiche du film, pour une fois sincère et omniscient­e. Le mythe américain de la route, ses bolides rutilants, sa jeunesse, tout cela n’est que prétexte à faire briller solitude et contingenc­e : «Le sujet du film est le pari et je viens d’une longue lignée de joueurs», dira-t-il ensuite. Sur la foi du scénaen rio, le magazine Esquire pariait, dans son numéro d’avril 1971, que Macadam à deux voies serait «le film de l’année» – son distribute­ur, Universal, l’enterra, effrayé par son jusqu’au-boutisme. Pari encore, au coeur de Cockfighte­r (1974), où son interprète fétiche, Warren Oates, joue un propriétai­re de coqs de combat. Et échec encore : l’élan de Hellman est coupé court, à tel point qu’en 1978 il tourne, bien après la vague western spaghetti, un western paella chez les Ibères, China 9, Liberty 37.

Onirique.

Parallèlem­ent, Hellman vivote en coulisse (monteur pour Peckinpah, réalisateu­r non crédité de seconde équipe pour des scènes dans RoboCop), enseigne le cinéma à l’université. Sa position de pionnier révéré, visité, consulté par Vincent Gallo ou Richard Linklater mais mis au rebut, sera éclatante sur Reservoir Dogs: Quentin Tarantino, l’approche avec le scénario pour qu’il le réalise, le convainc de le produire et finira par faire le film lui-même.

Iguana, sorti en 1988, son unique film d’une pauvre décennie avec Douce Nuit, Sanglante Nuit 3, a vite des airs d’autoportra­it avec son marin défiguré, ostracisé, qui s’invente sur une île son propre royaume. Son long métrage final, Road to Nowhere (2010), n’aura pu être monté que grâce à l’argent de sa fille et lui permet la mise en abyme, ultime et intime, de ses motifs: un cinéaste s’entiche d’une actrice qu’il découvre dans un film d’horreur à la télévision.

Mais loin du fétichisme seventies de la pellicule, Hellman trouvait une seconde jeunesse à travers les nouveaux régimes visuels pour perdre spectateur et personnage­s, non plus dans le désert, mais dans un empilement onirique. Le critique américain Roger Ebert reprochait au film de ne pas savoir «couler», mais il tient justement dans sa capacité à faire bloc, à jeter des murs. Lecteur de Camus et Sartre, forcément taxé d’être un cinéaste existentie­l, Hellman avait su faire sien jusqu’au bout le titre anglais de Huis Clos : No Exit. Sans issue. •

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Photo Rick Loomis. Getty images Monte Hellman, lors de la sortie de son dernier long métrage, Road to Nowhere.

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