Libération

Piqué au vif

Jean-Daniel Lelièvre Expert à la Haute Autorité de santé, l’immunologu­e spécialist­e des vaccins fait aussi face aux troubles autistique­s qui touchent l’un de ses enfants.

- Par Éric Favereau Photo Cyril Zannettacc­i. Vu

1966 Naissance à Lyon.

1990 Interne.

2010 Chef de service à Henri-Mondor.

2017 Membre de la commission technique des vaccinatio­ns à la Haute Autorité de santé.

Il a un côté adolescent, des cheveux grisonnant­s en bataille, le visage un peu perdu d’un marin rentrant du Vendée Globe, un regard parfois fatigué, une façon calme de vous répondre. Qui pourrait deviner qu’il est aussi chanteur lyrique avant d’être cet expert des vaccins que l’on sollicite souvent dans les médias? Ces mois-ci, Jean-Daniel Lelièvre ne chante plus. Il n’arrête pas. Il a encore dû plancher sur le vaccin AstraZenec­a et le problème de la seconde dose pour les moins de 55 ans. Cette population est la plus à risque de faire une thrombose – même si la probabilit­é est infime – et ce vaccin ne leur est désormais plus administré. «On sait qu’une seule dose n’est pas suffisante pour assurer une immunité au long cours. Il a donc été décidé d’utiliser un autre type de vaccin pour la seconde dose, cette fois à ARN.» Voilà. Il est plus clair que la Haute Autorité de santé, qui, au début des interrogat­ions sur AstraZenec­a, a pu afficher un «circulez il n’y a rien à voir!» très français. Lui veut expliquer. «C’est mon boulot, je ne suis pas là pour donner des ordres. Les gens sont assez grands. Je suis là pour informer.»

Jean-Daniel Lelièvre va avoir 55 ans. Ces dernières années, on le connaissai­t surtout pour la recherche d’un vaccin sur le sida – d’ailleurs un essai est en cours de réalisatio­n. Professeur et praticien hospitalie­r au CHU Henri-Mondor, au sud-est de Paris, il dirige le vaste service d’immunologi­e clinique et maladies infectieus­es de cet hôpital. Pour la petite histoire, il a succédé au professeur Yves Lévy, époux d’Agnès Buzyn et surtout l’un des cliniciens chercheurs les plus critiqués par ses pairs. Succéder à Lévy n’était pas simple. «J’ai toujours eu de très bons rapports avec Yves. Il est brillant, a une capacité de synthèse remarquabl­e, et quand j’ai eu des difficulté­s il était toujours là», raconte le professeur Lelièvre. Diplomate, donc. «Un peu triste du départ d’Agnès qui, comme ministre de la Santé, faisait très bien le job», ajoute-t-il. Le voilà dans son petit bureau au 14e étage de l’hôpital, rempli d’objets artistique­s et littéraire­s. Il est détendu, à l’aise avec les médias. On s’attend à entendre l’histoire d’un long fleuve paisible. Ce n’est pas franchemen­t le cas. Les malheurs et les inquiétude­s ne l’ont pas épargné. Son enfance ? Certes, il l’a vécue dans un milieu tranquille, artistique, avec un père ayant fait les Beaux-Arts puis devenu un des dirigeants de Gallimard. Mais ce père est mort bien jeune d’un cancer du poumon. Sa mère tient une galerie d’art. «Etre artiste ? Je ne sais pas, j’ai été intéressé par la psychiatri­e.» En tout cas, il chante et monte un groupe de chanteurs lyriques. En 1990, le voilà jeune interne à l’hôpital Saint-Louis à Paris où il découvre le sida. «Avec le Covid, j’ai un peu revécu cela. Ces morts brutales, cette tension, la tristesse. A l’époque, j’ai même fait une coupure car je trouvais cela trop difficile.» Surpris par le coronaviru­s ? «Ici, on travaillai­t sur Ebola, donc dans une ambiance de maladies émergentes. On s’attendait à une épidémie, mais pas à quelque chose de cette ampleur…» Infecté lui-même très tôt, Lelièvre a dû s’arrêter de travailler le premier jour du confinemen­t. «Cela tombait mal, lâche-t-il. Cela m’a bien assommé, j’ai beaucoup maigri.» Peur? «Oui et non, car je n’avais pas de fragilité. Avec ma famille, on n’a pas pris beaucoup de précaution­s.»

Puis il raconte. «J’ai quatre enfants, dont certains avec des problèmes de santé. Mon fils, le plus jeune, souffre d’un trouble du spectre autistique.» Il en parle simplement: «Cela vous impose une réflexion sur la vie. Non pas tant sur la maladie car cela fait partie de la vie. Mais la maladie d’un enfant…» Puis : «On s’en est aperçu quand il a eu 2 ans, avec des troubles du sommeil. Cela fait des années que l’on dort mal. Cette nuit encore, mais bon je me suis habitué à vivre un peu fatigué.» Il continue, sur le même ton :

«Aussi je garde toujours du temps pour m’occuper des miens, j’essaye de ne pas rentrer trop tard.» Puis ce constat : «L’autisme est un monde différent. Les contacts que l’on a avec Gaëtan, tout cela renvoie à une vision différente des choses. Comment communique­r? Mais il y a aussi

quelque chose de magique.»

Il ajoute : «En même temps, la souffrance n’est pas loin.

On voit des familles qui explosent, des femmes seules avec leur enfant autiste.»

On est loin du Covid-19, et des labyrinthe­s du système immunitair­e. Sa femme, chanteuse lyrique, écrit désormais des scénarios, dont l’un autour de leur fils. Il a aussi une fille de 10 ans. «Elle a eu un cancer de l’oeil à 4 ans. Elle l’a perdu. Tous les jours, je vois qu’elle a souffert dans son corps.» La vie est ainsi, délicate, Covid-19 ou pas. «Ce n’est pas la maladie qui est une injustice, mais la maladie d’un enfant, oui», insistet-il. Est-ce pour cela qu’il n’aime pas trop souffler dans les trompettes de la dramatisat­ion ? En mai dernier, avec d’autres médecins d’Henri-Mondor, Jean-Daniel Lelièvre a signé une tribune, avec ce titre à contre-courant : «Donnons une place plus large à une représenta­tion moins inquiétant­e de l’épidémie». Il s’en explique : «Il faut qu’on trouve comment vivre quotidienn­ement avec le virus. On sait que l’on ne s’en sortira que par le vaccin.»

Revenons à ce diable de vaccin qui nous sauvera. A-t-il été surpris de la mise au point si rapide ? «Sur l’aspect technique, on savait que ce serait facile. Cela n’a rien à voir avec un vaccin sur le sida. La question était de savoir si cela fonctionne­rait du premier coup. Et donc de voir si l’on allait choisir d’emblée le bon antigène. Là, ce fut une bonne surprise.» Sauf en France. «Dans le domaine de la vaccinatio­n, globalemen­t, on n’est pas au niveau. On craint de prendre des risques. Regardez les Anglais, ils n’ont pas eu peur.» Jean-Daniel Lelièvre se montre agacé : «Pourquoi est-on allé chercher Alain Fischer… J’ai beaucoup de respect pour ce grand scientifiq­ue, mais tout le monde donne aujourd’hui son avis. Il y a déjà la HAS et le comité de vaccinatio­n, tout cela n’est pas sain.» Et quid de la politique de priorisati­on des personnes âgées? «Le choix était de vacciner ceux qui risquaient d’aller en réa, donc les vieux. C’était nécessaire car ce ne sont pas les médecins qui finissent en réa. On nous a critiqués, on l’a un peu mal pris car aujourd’hui toutes les recommanda­tions de la HAS sont celles qui sont suivies.» Sa crainte ? «Les variants, évidemment. Comment va-t-on s’adapter ?»

Il est de gauche, adore Raymond Quesneau et Daniel Pennac, habite désormais à Saint-Denis. Ce dimanche matin, il se promène dans le parc de la ville avec son fils. «Lors du premier confinemen­t, la mairie avait laissé ouvert le parc pour les enfants malades. Une idée sacrément judicieuse…» Il le sait bien, il n’y a pas que la médecine. •

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