Les Etats-Unis de retour au chevet de la planète
Le nouveau président américain a réuni en visioconférence 40 chefs d’Etat jeudi et annoncé des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre bien plus ambitieux pour son pays. S’il a été imité par plusieurs dirigeants, les financements ne son
Continuant tant bien que mal de rattraper les reculs de son prédécesseur Donald Trump, le président américain, Joe Biden, a réussi plusieurs exploits jeudi. D’abord réunir, en très peu de temps, 40 chefs d’Etat pour un sommet virtuel sur le changement climatique en pleine crise sanitaire et économique. Ensuite, parvenir à obtenir l’approbation d’une grande partie de la société civile sur son nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Annoncé en grande pompe jeudi, il vise une baisse de 50 % à 52 % d’ici 2030 (par rapport à celles de 2005). En comparaison, Obama s’était engagé sur une réduction de 26 % à 28 % d’ici 2025. «C’est une opportunité de créer des millions d’emplois», a scandé le président américain. «Un choix historique», a applaudi Emmanuel Macron lors du sommet. «La nouvelle visée des Etats-Unis est un pas dans la bonne direction : toutes les économies majeures devraient s’orienter vers une réduction de leurs émissions d’au moins 50% d’ici 2030», a salué Laurence Tubiana, l’architecte de l’accord de Paris, aujourd’hui présidente de la Fondation européenne du climat.
Le site Climate Action Tracker a calculé que le nouvel objectif allait permettre de réduire l’écart entre la trajectoire actuelle des émissions mondiales et celle de l’accord de Paris de 5 % à 10 %. Mais pour que les Américains s’alignent sur l’objectif de limiter la hausse des températures moyennes mondiales à +1,5°C (par rapport à l’époque préindustrielle), il leur faudrait réduire leurs émissions de 57% à 63% d’ici dix ans (par rapport à celles de 2005).
«Grand pas en avant»
Ce sommet pourrait-il redonner aux Etats-Unis une place dans le club restreint des leaders sur le
front du climat – place durement gagnée par Barack Obama et qui avait permis d’aboutir, en décembre 2015, à l’accord de Paris ? Il est encore tôt pour l’affirmer. Car Biden doit faire ses preuves dans le concret et, pour cela, devra convaincre le Congrès de soutenir les investissements massifs nécessaires à la transition écologique. De même auprès des 50 Etats américains. «Il est certain qu’il va falloir de la pédagogie. Or, du temps, on en a peu dans la politique américaine», souligne Adrien Estève, docteur associé au Centre de recherches internationales. En effet, les midterms (élections de mi-mandat) ont lieu l’an prochain. «Il faut donc enclencher le mouvement dès maintenant, avant la réélection d’une partie du Congrès, explique-t-il. La majorité démocrate est mince et il n’est pas impossible que Biden se retrouve plus tard avec une majorité républicaine. C’est ce qui avait tant traumatisé Biden sous Obama…» Le sommet virtuel, organisé en marge des négociations de l’ONU sur le climat et qui se poursuivra ce vendredi, a aussi été l’occasion pour d’autres dirigeants de tenter de briller. Le Japon a ainsi relevé son ambition climatique en se fixant pour objectif une réduction de ses émissions de CO2 de 46 % à l’horizon 2030 par rapport à leurs niveaux de 2013, contre un but précédent de - 26 %. Le Premier ministre, Yoshihide Suga, s’est autofélicité de ce «grand pas en avant». Une cible difficile à atteindre mais qui doit permettre au Japon de «rester compétitif dans la future économie mondiale», estime Takeshi Kuramochi, du New Climate Institute.
Scepticisme des
écologistes
Des efforts importants devront donc être fournis, surtout quand on sait que le Japon faisait partie en 2019 des cinq plus gros pays émetteurs de CO2 au monde, selon la plateforme en ligne Global Carbon Atlas. Cependant, l’accident nucléaire de Fukushima, en 2011, a modifié la donne et redéfini la politique énergétique du pays. «Des mesures fortes sont nécessaires dans tous les secteurs. En particulier, le secteur de l’électricité doit définir une feuille de route pour éliminer progressivement les centrales au charbon et accélérer rapidement la capacité d’énergies renouvelables», estime le spécialiste Takeshi Kuramochi.
Le Canada, par la voix de son Premier ministre, Justin Trudeau,
«Toutes les économies devraient s’orienter
vers une réduction de leurs émissions d’au moins 50 % d’ici 2030.»
Laurence Tubiana présidente de la Fondation
européenne du climat
s’est engagé à réduire de 40 % à 45 % ses émissions d’ici 2030 par rapport à celles de 2005, au lieu de 30% précédemment. «Nous investissons dans les transports publics, les énergies propres, la rénovation thermique des habitations et la décarbonation de l’industrie, […] et nous avons prévu de planter deux milliards d’arbres […], a martelé le chef d’Etat. Ce sera inscrit dans la loi pour atteindre nos objectifs de zéro émission nette d’ici 2050.»
De son côté, le président de la République de Corée du Sud, Moon Jae-in, a annoncé la fin de «l’ensemble des financements publics pour les nouvelles centrales à charbon à l’étranger ainsi que l’octroi de nouveaux permis» et confirmé également «l’arrêt des vieilles installations avant les délais prévus […]. Nous allons continuer ces efforts en faveur des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien». Le président Jair Bolsonaro a aussi déclaré jeudi que le Brésil visait la neutralité carbone d’ici 2050, dix ans
plus tôt que l’objectif prévu, dans un discours beaucoup plus conciliant qu’à l’accoutumée mais accueilli avec scepticisme par les écologistes. L’organisation de ce sommet a été largement saluée car 2021 doit et peine encore à s’inscrire comme une année cruciale du processus lancé par l’accord de Paris. Construit sur des cycles de cinq ans, celui-ci vise à pousser les Etats à renforcer leurs actions pour réduire leurs émissions, mais aussi pour investir dans l’adaptation aux effets du changement climatique. La COP 26 organisée à Glasgow (Ecosse) en novembre prochain devrait être le moment où les Etats présentent (de manière volontaire) de nouveaux plans nationaux. Plus ambitieux que ceux de 2015.
«bataille politique sans fin»
Point faible de toutes ces annonces : les financements internationaux. En 2009, lors de la chaotique COP de Copenhague, les pays riches se sont engagés à livrer 100 milliards de dollars par an (environ 83 milliards d’euros), à partir de 2020, pour les pays en développement.
«On en est encore très loin, assure Armelle Le Comte, experte climat pour Oxfam France. Les pays riches ont tendance à gonfler leurs financements aux pays en développement. Ils ont annoncé 60 milliards de dollars (50 milliards d’euros) pour 2017-2018, selon les derniers chiffres disponibles. Mais nos calculs à Oxfam, qui ont été en grande partie confirmés par une étude de l’OCDE, estime plutôt ce montant entre 19 et 22 milliards de dollars (16 et 18 milliards d’euros), une fois qu’on enlève les prêts qui devront être remboursés par les pays.»
Les Etats-Unis ont aussi beaucoup à rattraper. «Les Etats-Unis doivent de l’argent au Fonds vert [un des instruments pour atteindre ces 100 milliards de dollars, ndlr], reprend Armelle Le Comte. L’attente vis-à-vis de l’administration Biden est de doubler sa participation initiale au fonds de 3 milliards, soit verser 6 milliards [5 milliards d’euros] sur les quatre prochaines années, plus les 2 milliards que Trump a refusé de verser.»
Jeudi, Biden a annoncé «doubler» d’ici 2024 l’aide publique versée par les Etats-Unis aux pays en développement par rapport aux niveaux enregistrés dix ans plus tôt. Et donne au Fonds 1,2 milliard de dollars supplémentaires. Lola Vallejo, experte climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales le rappelle: «Il existe toujours un décalage trop important entre les objectifs de Paris, les objectifs nationaux et ce qui est réalisé dans le court terme. Cela reste une bataille politique sans fin. On le voit avec la loi climat en France. Pas encore votée, elle est déjà en retard sur les nouveaux objectifs adoptés cette semaine par l’Union européenne…» •