Libération

LE MAÎTRE DÉCOLLE

Thomas Pesquet

- Par Camille Gévaudan

L’astronaute français doit s’élancer ce vendredi depuis Cap Canaveral, en Floride, pour une deuxième mission de six mois dans la Station spatiale internatio­nale.

La fusée est prête depuis samedi. Dressée sur son pas de tir à Cap Canaveral, en Floride, la Falcon 9 est chapeautée à 70 mètres de hauteur par sa capsule de voyage tout en rondeurs, avec vue sur mer au décollage. La blancheur immaculée de ce vaisseau futuriste contraste avec le corps de la fusée qui lui sert de réservoir géant à carburant (plus de 500 tonnes), et semble tout droit sorti d’une mine à charbon. Ça ne fait pas très pro ? Au contraire, c’est une source de fierté ! La fusée est comme ses passagers : elle a déjà volé. Le lanceur de SpaceX, qui doit décoller ce vendredi à 11 h 49 (heure de Paris) vers la station spatiale internatio­nale, en est à son deuxième départ vers l’espace, tout comme l’astronaute français Thomas Pesquet, qui rempile pour six mois de mission spatiale sous les yeux émerveillé­s de tout un pays.

Décoller pour la deuxième fois n’a rien à voir avec le vol de baptême, raconte volontiers le pilote, lundi encore lors de sa dernière conférence de presse avant le départ : «Je pense que le deuxième séjour va être plus difficile que le premier. Physiqueme­nt peut-être pas, parce que j’ai l’impression d’être dans la meilleure forme de ma vie en ce moment. Mais je sais pas, avec l’expérience […], mentalemen­t c’est plus difficile.» Sa naïveté s’est envolée. «La première fois, on y va la fleur au fusil, explique Pesquet à Paris Match. Le jour J, on s’installe dans la fusée, ça décolle et, effectivem­ent, ça fait un peu peur ! Mais il est trop tard… Très vite, l’excitation et la concentrat­ion prennent le dessus. Même si parfois on s’inquiète, même si ça fait mal, on est dans l’action. Les tâches s’enchaînent et il faut aller au bout. La deuxième fois, par contre, on sait exactement quand ça va faire peur et où ça va faire mal. Du coup, on avance vers la date du lancement avec moins d’insoucianc­e.»

Et puis, les astronaute­s sont des citoyens comme les autres : ils n’ont pas échappé aux restrictio­ns de voyage, interdicti­ons de rassemblem­ents familiaux et autres mesures barrières qui plombent la vie depuis un an. «La pandémie n’a pas rendu l’entraîneme­nt facile, glisse Thomas Pesquet avant son envol. On s’est retrouvés très isolés. On se prépare à quitter nos proches, à quitter la Terre pour six mois, et malheureus­ement ça fait presque un an qu’on est quasiment en isolation.»

Pisser sur le bus

D’un point de vue médical, pas grand-chose à craindre : les quatre astronaute­s sont vaccinés – car «ça serait une catastroph­e d’amener le Covid sur la station, il faut faire redescendr­e tout le monde et on ne sait pas comment nettoyer la station sans que personne n’y soit présent» – et observent une quarantain­e stricte avant de partir. Rien de très différent du protocole habituel, qui veut éviter à tout prix qu’un virus terrien fasse des ravages dans l’ISS, ces 388 mètres cubes de volume habitable qui orbitent à 400 kilomètres d’altitude.

Dur, dur d’être un astronaute? Quand même pas. «Bon, évidemment quand on va dans l’espace on ne peut pas se plaindre», balaye Pesquet. Il y a globalemen­t de quoi être enthousias­te pour cette deuxième mission nommée Alpha, à commencer par la nouveauté de voler à bord d’un vaisseau américain flambant neuf là où le premier voyage, en novembre 2016, s’était fait à bord de la vieille capsule russe Soyouz. Voilà des années que les Américains (et donc leurs partenaire­s canadiens, japonais, européens…) comptaient entièremen­t sur Roscosmos, l’agence spatiale russe, pour organiser les trajets pluriannue­ls vers l’ISS: la Nasa a perdu son propre moyen de transport avec l’arrêt des navettes spatiales en 2011. Thomas Pesquet, promu en 2009 dans la première classe d’astronaute­s européens, ne les a pas connues. Il a commencé sa carrière à cette époque de transition où les astronaute­s occidentau­x achetaient 80 millions de dollars leur place en Soyouz, venaient passer des mois d’entraîneme­nt à Baïkonour (Kazakhstan) dans la Cité des étoiles, apprenaien­t à manipuler un tableau de bord en cyrillique et se pliaient aux innombrabl­es rituels russes, comme pisser contre la roue arrière droite du bus qui les emmène au pas de tir pour imiter le grand et éternel Youri Gagarine.

«Naviguer avec un GPS»

Entre-temps, les Etats-Unis ont retrouvé leur autonomie d’accès à l’espace. Ils peuvent désormais compter sur les fusées et capsules privées de SpaceX (et bientôt celles de Boeing, en cours de tests) pour rejoindre l’ISS depuis Cap Canaveral. La jeune entreprise spatiale du milliardai­re Elon Musk avait d’abord développé un vaisseau de fret, le «Dragon», qui sert depuis 2012 à ravitaille­r

la station spatiale. Puis l’engin a été adapté au transport d’êtres humains et une première version du Crew Dragon a emmené deux astronaute­s américains sur l’ISS en mai 2020, sans encombre. Ainsi validé, le nouveau vaisseau est passé à pleine capacité en transporta­nt quatre astronaute­s fin 2020, et en embarque quatre à nouveau en ce mois d’avril. Thomas Pesquet est arrivé en Floride samedi. Coup de bol, «nous avons eu la chance d’arriver au moment précis où le Falcon 9 était verticalis­é sur le pas de tir», a tweeté l’astronaute. Un spectacle majestueux auquel il ne lui a pas été permis d’assister pour son premier vol (une tradition russe). Le confort va être nouveau, lui aussi. Si la fiabilité de la capsule Soyouz n’est plus à démontrer, elle est aussi accueillan­te qu’une boîte à sardines. Cette fois, Elon Musk a concocté un écrin digne de Kubrick. Là où le Soyouz se divise en deux petites pièces – un module de pilotage et un module d’habitation –, Crew Dragon compte «un seul volume plus spacieux, plus moderne et plus automatisé», décrit Thomas Pesquet. Comble du luxe, les astronaute­s peuvent étendre leurs jambes depuis leur siège, et le mur de boutons et de voyants d’alertes du Soyouz est remplacé par des écrans plats tactiles. «C’est un peu comme naviguer avec un GPS plutôt que de se diriger à l’estime comme avant.»

Les combinaiso­ns spatiales ont été dessinées par Jose Fernandez, costumier de Hollywood qui a travaillé sur les films Avengers. Epurées et élégantes, avec leurs épaulettes de super-héros et une visière noire quasi-stormtroop­er, elles chatouille­nt l’imaginaire afin de refaire de l’exploratio­n spatiale une boîte à rêves, cruciale quand la vie sur Terre n’a rien de gai à promettre.

Observer un blob

Derrière les paillettes, un programme chargé attend Thomas Pesquet et ses acolytes –le Japonais Akihiko Hoshide, l’Américaine Megan McArthur et son collègue Shane Kimbrough, qui avait déjà accompagné Pesquet sur I’ISS en 2017. Des dizaines d’expérience­s en micropesan­teur rempliront ces six mois de séjour, sans compter l’entretien de la station vieillissa­nte, les sorties extravéhic­ulaires, et les deux heures d’exercice physique par jour mises à profit pour tester un casque de réalité virtuelle.

A Toulouse, le Centre d’aide au développem­ent des activités en micropesan­teur et des opérations spatiales (Cadmos) a préparé douze expérience­s pour son poulain français: l’une étudie le sommeil des astronaute­s, une autre observera un blob (créature jaune à filaments, ni animale ni végétale), une autre se penchera sur le vieillisse­ment des cellules cérébrales, pour aider la recherche médicale sur Terre et préparer des voyages spatiaux de plus longue durée. Le tout dans une station au bord de la surpopulat­ion, dont Thomas Pesquet prendra le commandeme­nt à partir du 13 octobre.

Nul doute qu’entre tout ça, il retrouvera le temps d’abreuver son parterre de fans en photos de la Terre. Et d’allumer sa webcam pour dialoguer avec des écoliers, expliquer encore et encore les enjeux du changement climatique qui lui tiennent à coeur… Et comment les astronaute­s font caca dans l’espace. •

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Photo Émilie Buzin Thomas Pesquet, à Baïkonour au Kazakhstan, le 3 juillet 2016.
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