Libération

Va voir là-haut si on y est bien

- Par Luc Le Vaillant

Cher Thomas Pesquet,

Ton nouveau départ pour la station orbitale me ravit. C’est ce qui pouvait nous arriver de mieux par ces temps calamiteux. C’est un soulagemen­t de voir quelqu’un qui rehausse la mire quand, Covid oblige, nous regardons nos pieds pour respecter le kilométrag­e autorisé et restons tétanisés dans un ici-bas de plus en plus las. Tu élargis l’horizon quand nous tenons la ligne sanitaire, moutons de Panurge d’une obligation de précaution, que personne ne se permet de transgress­er à grand fracas, même si en douce on en prend à notre aise. Malgré ton air bonhomme et ton humour casanier, tu nous enseignes à ta façon dédramatis­ante que le risque existe, qu’il est structuran­t et qu’il importe de courir à sa rencontre. Même si, à te regarder t’envoler, on ne s’habituera jamais.

Ton scaphandre a perdu son air d’eau de vaisselle hérité des aventures de Tintin, mais modernité ne vaut pas immunité. Le relooking hollywoodi­en de ta tenue te fait ressembler à un motard de l’espace doublé d’un chat botté. Mais, à ta façon, sans te mettre sur la roue arrière, tu nous rappelles que tu ne pars pas te friser les moustaches et que les «safe spaces» n’existent pas.

Tu as beau te blottir dans un berceau de fer, agrémenté de hochets technologi­ques très particulie­rs, tu sors de la mer de la tranquilli­té, tu passes de l’autre côté du miroir, tu renais sous une nouvelle identité. Ce qui prouve que les assignatio­ns ne sont pas définitive­s et que,

réparés ou non, les ascenseurs peuvent vous sortir de votre cage.

Entre foudre et tonnerre, une fusée va te propulser depuis un pas de tir pacifique. Et l’on pourra se féliciter de voir l’inventivit­é de l’espèce humaine servir à autre chose qu’à faire la guerre. Tu t’inscris, et tant pis si ça fait ricaner les cyniques, dans les pas de Bougainvil­le. Tu es un explorateu­r qui se fera là-haut laborantin et botaniste, cobaye et expériment­ateur, diariste et illustrate­ur. Tu reviendras avec ton cabas plein de data, qui serviront à ensemencer divers champs du savoir. Comme ton lointain devancier, tu désherbes aussi des friches économique­s, vols habités ou tourisme spatial, tant on fait commerce de tout. Ce qui est mieux que d’armer des conflits, même si ça ne garantit rien. Cher Thomas, je t’imagine en Icare qui aurait soigné les coutures de ses ailes et qui saurait ne pas trop s’approcher du soleil. Je te fantasme en Prométhée prêt à dérober le feu sacré, mais qui aurait assez forcé sur les abdos pour éviter de voir son foie dévoré par l’aigle de l’ignorance. N’écoute pas ceux qui disent que tout cela est vain, que tu n’es qu’un conquérant de l’inutile, que la planète se sauve ici et maintenant, le museau au ras du plancher des vaches. L’écologie et la pandémie n’interdisen­t ni l’embellie ni la rêverie. Au contraire, par ces temps où l’avenir nous aveugle, il fait bon lever l’oeil et songer que là-haut, il y a quelqu’un. Ni un dieu ni un robot, juste un humain. •

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