Libération

Laura André-Boyet, une formatrice très spatiale

Seule instructri­ce d’astronaute­s française en Europe, elle a appris à Thomas Pesquet le métier. Une fois de plus, elle regarde son poulain s’envoler pour la Station spatiale internatio­nale.

- Elise Viniacourt

Elle commençait tout juste, lui aussi. En 2010, la boule au ventre, Laura André-Boyet, 28 ans, fait sa première rentrée en tant qu’instructri­ce d’astronaute­s. Devant la professeur­e dans la salle de classe, six apprentis astronaute­s, dont le jeune Thomas Pesquet. «J’avais peur de les décevoir», se souvient-elle. Mais très vite, la peur se dissipe. Sourire aux lèvres, Laura glisse : «Les blagues d’astronaute­s, vous savez, ça vole haut.»

«Sel de table»

Onze ans plus tard, elle et Thomas Pesquet sont encore complices, alors que l’astronaute français s’apprête à rejoindre pendant six mois la Station spatiale internatio­nale. Les traits un peu tirés mais le regard toujours pétillant, Laura André-Boyet confie être «complèteme­nt débordée». Elle a, cette fois encore, pris en main la formation de l’astronaute français. La boule au ventre, désormais, elle l’a avant chaque décollage de fusée. Pourtant, depuis dix ans qu’elle travaille dans la ville allemande de Cologne, au Centre des astronaute­s européens (EAC), elle en a vu.

Le japonais Akihiko Hoshide, l’américain Robert Shane Kimbrough… Combien d’astronaute­s a-t-elle formés en tout? «Je dirais une vingtaine par an.» Elle est la seule Française en Europe à exercer ce métier auquel rien ne la prédestina­it. Son enfance, elle l’a passée à Primarette, un village de l’Isère, un peu plus de 700 habitants. Sa mère est professeur­e de français, son père administra­teur immobilier. Dans la chambre de Laura André-Boyet, pas de télescope. Ce qui la branche, c’est le terres

tre : comment fonctionne­nt les plantes ? Qu’en est-il du lait des vaches ?

Ses premiers voyages, elle les fait en direction de Grenoble, puis Montréal. Eclectique, elle apprend la physiologi­e, l’ingénierie, puis fait un master en administra­tion des affaires. Elle candidate «par hasard» à une offre de stage au Centre national d’études spatiales (Cnes), en 2007, à laquelle elle est acceptée. «Je n’ai toujours pas compris pourquoi.» Et le «hasard» continue. Six mois plus tard, elle participe à un concours internatio­nal entre étudiants du spatial, l’Internatio­nal Astronauti­cal Congress (IAC). Elle en remporte le prix, avec une recherche portant sur «la résorption osseuse en fonction de la quantité de sel de table ingérée par les astronaute­s».

Elle finit par accepter un poste spécialeme­nt créé pour elle à l’Agence spatiale européenne (ESA) de Toulouse, «après avoir pris une pause de deux mois et travaillé comme serveuse pour [se] remettre les idées en place». En 2010, elle rejoint Cologne pour devenir officielle­ment instructri­ce.

La formation d’un astronaute dure quasiment toute une carrière et se déroule souvent en trois étapes : la formation de base, la formation continue en attente de mission et, éventuelle­ment, la formation en vue d’une mission spatiale. Ces derniers temps, Laura André-Boyet enseigne cette dernière étape. Alors que les astronaute­s enchaînent les entraîneme­nts physiques, théoriques, techniques, elle les prépare aux missions scientifiq­ues qu’ils vont mener à bord.

Démocratis­er l’instructio­n

Elle-même explique qu’elle n’a pas forcément envie d’aller dans l’espace: «L’important, c’est pourquoi on fait tous ça, améliorer la vie sur Terre, l’industrie, la biologie, la médecine… En ça, j’ai des ambitions bien plus grandes que celle de devenir astronaute.»

Ces dernières années, elle s’est penchée sur le tourisme spatial. «J’ai vu d’un coup débarquer des entreprise­s comme Virgin Galactic, Blue Origin, XCOR, qui nous disaient, “Nous, dans six mois, on envoie des gens dans l’espace

!” Je me suis dit : “C’est pas possible, ils vont tuer des centaines de personnes!”» En réponse, elle a fondé la Profession­al Associatio­n of Space Instructor­s (Pasi), dans le but de démocratis­er l’instructio­n des astronaute­s. «N’importe qui peut apprendre à piloter un avion, alors pourquoi les sciences de l’espace resteraien­t-elles aussi peu accessible­s ?» Mais à la différence de Virgin et consorts, ce sont les connaissan­ces qu’elle souhaite voir circuler, plus que les personnes : «On vous met un casque de réalité virtuelle, on vous place dans un vol paraboliqu­e [qui simule l’apesanteur, ndlr] et vous êtes dans l’espace. Pas besoin de plus.»

Peu après Thomas Pesquet, ce sera au tour de l’Allemand Matthias Maurer, un autre de ses disciples, de s’envoler pour l’ISS. L’instructri­ce, elle, prendra la charge de nouveaux futurs astronaute­s en formation basique. «Comme en 2010», dit-elle, enthousias­te à l’idée de former une nouvelle génération.

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AFP. ESA. NASA ISS, le 27 février 2017. Pour son anniversai­re, Thomas Pesquet a reçu des macarons modifiés pour être mangés dans l’espace.
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Photo European Space Agency Thomas Pesquet lors d’une sortie extravéhic­ulaire sur l’ISS.
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Anneke Le Floc’h. ESA Laura André-Boyet.
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Photo Joel Kowsky. Nasa. AFP La fusée Falcon 9 et la capsule Crew Dragon, à Cap Canaveral, mardi,

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