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L’ISS va-t-elle redevenir poussière d’étoile ?

L’avenir de la station spatiale, dont s’occupent Américains, Russes, Japonais, Canadiens et Européens, est incertain après 2024. Vieillissa­nte et coûteuse, elle est à la merci des ambitions de chacun.

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«C’est simple, on ne sait pas descendre l’ISS. La structure est très grosse [la taille d’un terrain de foot, ndlr], si on la désorbite, des morceaux vont atterrir sur la moitié du globe, c’est trop dangereux», explique Sébastien Barde, sous-directeur Science et Exploratio­n au Centre national d’étude spatiale (Cnes). «Si on veut la désorbiter en 2028, il faudrait se pencher sur la question dès maintenant, ce qui n’est pas le cas», appuie l’ingénieur. L’option crash est donc pour le moment à oublier. Et démonter la station module par module aurait un coût pharaoniqu­e.

Alors que va bien pouvoir devenir l’ISS ? La carcasse de 400 tonnes, en orbite à environ 400 kilomètres de la surface de la Terre, montre des signes de fatigue. «Il y a de petites fuites d’air, indique Didier Schmitt, responsabl­e de la stratégie et de la coordinati­on de l’exploratio­n habitée et robotique à l’Agence spatiale européenne (ESA). Les Russes ont fait plusieurs sorties pour réparer des fissures, mais la fuite n’a toujours pas été localisée.»

«Bobard».

Construite pièce par pièce depuis 1998, l’ISS continuera de fonctionne­r comme aujourd’hui jusqu’à 2024, l’accord intergouve­rnemental entre les pays européens représenté­s par l’ESA, les Etats-Unis (Nasa), le Japon (Jaxa), le Canada (ASC) et la Russie (Roscosmos) ayant été reconduit jusqu’à cette date. Depuis plusieurs années, des critiques se font entendre. A l’image de l’ancien spationaut­e français Patrick Baudry qui, en 2019 dans le Parisien, la décrivait comme «le plus grand bobard de l’histoire spatiale», s’alarmant des «sommes colossales dépensées» pour y mener des expérience­s obsolètes. «Le vol de Baudry, qui date de plus de trente-cinq ans, n’avait duré qu’une semaine alors qu’aujourd’hui les missions de base durent six mois, cela n’a rien à voir !» s’agace Sébastien Barde, qui précise que l’ISS sert aujourd’hui de laboratoir­e pour mener des expérience­s en micropesan­teur, irréalisab­les sur Terre.

Mais les 150 milliards de dollars engagés depuis la création de l’ISS en 1998 restent en travers de la gorge de ses détracteur­s. «Certes, c’est disproport­ionné par rapport aux expérience­s menées, concède Didier Schmitt. Mais la constructi­on de l’ISS était une décision politique, et pas scientifiq­ue. Après la chute du mur de Berlin, les Américains ont tendu la main aux Russes pour que leurs ingénieurs ne se tournent pas vers des pays comme l’Iran. L’intérêt de l’ISS dépasse la science. Cela a un coût, mais pas de prix.»

Lunaire.

Selon l’ESA, les Américains financent à hauteur de 3,5 milliards d’euros annuels l’ISS, contre 300 millions pour les Européens. Techniquem­ent, la station peut tenir jusqu’à 2028, voire 2030. Pour la suite, tout dépendra du financemen­t pour la maintenir à flot. Problème : les ambitions lunaires de la Nasa pourraient mettre un coup d’arrêt aux recherches effectuées sur la station. Avec la mission Artemis III, l’agence spatiale américaine souhaite faire atterrir des astronaute­s sur la Lune si possible dès 2024, afin de s’établir près du pôle Sud, puis de se servir de cette expérience pour lancer l’exploratio­n humaine de Mars. Les Américains prévoient ainsi la constructi­on d’une station spatiale en orbite autour du satellite en partenaria­t avec l’ESA : la Lunar Gateway.

Sans oublier les Russes, qui, exclus du nouveau programme américain, ont annoncé deux projets : d’abord, la constructi­on d’une station lunaire, avec la Chine. Et puis, mardi, le patron de l’agence spatiale Roscosmos a indiqué qu’un premier module pour une «nouvelle station orbitale russe» était en constructi­on, avec une mise orbite espérée pour 2025. Maintenir l’ISS sans la participat­ion des Russes paraît problémati­que.

Plusieurs scénarios sont sur la table, comme continuer avec moins de modules. Selon Sébastien Barde, certaines des expérience­s pourraient être suivies depuis le sol et les astronaute­s y seraient moins présents. Mais «le Congrès américain a annoncé qu’il ne comptait pas laisser l’orbite basse [jusqu’à 2 000 kilomètres, ndlr] aux Chinois», abonde Didier Schmitt qui estime que, pour rester sur tous les fronts, les Américains pourraient se tourner vers le secteur privé pour une partie de l’utilisatio­n de l’ISS, voire subvention­ner une petite station commercial­e. A la manière de qui est fait avec le Falcon 9 et le Crew Dragon de SpaceX, à qui la Nasa achète des sièges pour ses astronaute­s mais aussi pour ceux de ses partenaire­s comme l’ESA. «Cela fait vingt ans que l’on s’est habitué à n’avoir que l’ISS, il va falloir s’habituer à avoir les Chinois dans l’espace en permanence et à voir naître de nouvelles initiative­s privées», conclut-il.

Julie Renson Miquel

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