«La Chine n’est pas le “géant vert” que certains se plaisent à décrire»
L’économiste JeanPaul Maréchal, maître de conférences à ParisSaclay, décrypte la stratégie climatique du président Xi Jinping.
Principal émetteur de gaz à effet de serre au niveau mondial, la Chine a accepté au dernier moment de participer au sommet sur le climat organisé par les Etats-Unis. Quelques jours après l’engagement des deux pays à «coopérer» pour «lutter contre la crise climatique», le chef d’Etat chinois, Xi Jinping, a réaffirmé jeudi vouloir atteindre un pic d’émissions de gaz à effet de serre avant 2030 et viser la neutralité carbone d’ici 2060, tout en s’engageant à éliminer progressivement la consommation de charbon du pays dans les années à venir. Cependant, pour Jean-Paul Maréchal, maître de conférences en science économique à l’université Paris-Saclay et spécialiste de la stratégie climatique chinoise, il existe des «contradictions» entre les annonces de Pékin et sa politique climatique.
La Chine est-elle en mesure de respecter ses engagements ?
Pour des raisons qui tiennent à l’amélioration de son intensité carbone [émissions de CO2 comparées au produit intérieur brut, ndlr], à la transformation de son mix énergétique, au ralentissement de sa croissance, au développement des technologies
vertes, à la construction de centrales nucléaires et à la tertiarisation de son économie, il est tout à fait possible que la Chine respecte les promesses faites lors de l’accord de Paris et qui ont été légèrement renforcées lors du sommet pour le climat qui s’est tenu en ligne en décembre. Il n’y a pas de raison qu’elle ne parvienne pas, par exemple, à augmenter la part de ses énergies renouvelables à 25 % (13 % aujourd’hui). Quant à l’idée de parvenir à la neutralité carbone en 2060… Là, on est complètement dans l’inconnu. D’abord, parce que 2060, c’est dans trenteneuf ans. Ensuite, parce qu’on se rend compte que la Chine continue de recourir massivement au charbon. Entre 2018 et 2019, la Chine a construit un nombre de centrales à charbon correspondant aux capacités de production de la totalité du parc de centrales à charbon américain…
N’est-ce pas paradoxal par rapport aux annonces du pays ?
C’est absolument paradoxal. Certes, les centrales à charbon construites par la Chine sont des centrales de nouvelle génération qui permettent un meilleur rendement. Mais cela reste un système qui rejette beaucoup de CO2 dans l’atmosphère et ces centrales ont une durée de vie de plusieurs décennies.
La Chine est-elle prête à assumer un statut de leader mondial sur le climat aux côtés des EtatsUnis et de l’Union européenne ?
Déjà, pour exercer un leadership, il faut avoir une influence réelle à l’extérieur de ses frontières et susciter l’adhésion, ce qui n’est pas vraiment le cas du régime chinois. Mais il est vrai que l’élection de Donald Trump et le retrait américain de l’accord de Paris ont libéré le champ à Pékin pour que la Chine apparaisse comme l’un des très bons élèves. Donc, de ce point de vue-là, l’élection de Joe Biden est une très mauvaise nouvelle pour les négociateurs chinois, puisque à peine arrivé à la Maison Blanche, ce dernier a réintégré les EtatsUnis dans l’accord de Paris. Par ailleurs, les Américains et les Chinois représentent à eux deux la moitié des émissions mondiales de CO2. La réduction de leurs émissions pourrait avoir un effet conséquent sur le climat mondial. Et ça, je pense qu’ils l’ont bien compris. Il y aura probablement une forme de rivalité entre les deux nations, qui peut être vertueuse pour le climat.
La Chine a par exemple lancé en février un marché carbone national, c’est-àdire un système d’échange de quotas d’émissions… Certes, mais c’est un marché qui, dans sa conception – en particulier concernant le mode de calcul d’attribution des permis –, est beaucoup moins incitatif que le marché européen [pour réduire la pollution]. Sans oublier le fait qu’il ne couvre plus que le secteur de l’électricité, contrairement à ce qui avait été annoncé en 2017. Les autorités chinoises ont justifié ce changement en arguant que les données sur les émissions des autres secteurs n’étaient pas fiables. Avec tous les pays, mais avec la Chine en particulier, il faut toujours faire la distinction entre ce qui est annoncé et la réalité du terrain. Comment la chine se positionne-t-elle face à la politique commerciale et climatique de l’UE ?
Les relations avec l’Union européenne sont un peu compliquées… Début janvier,
Bruxelles est parvenu à un accord global sur les investissements avec Pékin mais, en mars, l’UE a décidé d’appliquer des sanctions contre la République populaire de Chine pour des questions liées aux droits de l’homme.
Cette position est bien résumée par un document de la Commission européenne datant de 2019, qui indique que la Chine était à la fois un «concurrent économique en quête de leadership», «un rival systémique» et «un partenaire stratégique dans le domaine du changement climatique». Pour beaucoup de pays, le rapport avec la Chine est devenu extrêmement problématique. Sur certains domaines, comme le climat, il est possible de coopérer. Mais sur d’autres, si les relations se tendent, c’est parce que les Occidentaux sont sortis de leur angélisme. Ils ont fini par comprendre qu’ils avaient perdu le pari fait dans les années 1990 de démocratiser la Chine en l’insérant dans les flux commerciaux internationaux.
Depuis 2012 et l’élection de Xi Jinping, le régime est de plus en plus répressif. Pékin n’a pas tort de dire que les Américains sont de mauvais élèves sur le climat. Mais les dirigeants chinois se gardent bien d’ajouter que les engagements chiffrés pris par la Chine à l’occasion de l’accord de Paris non seulement ne leur demandent pas beaucoup d’efforts mais correspondent encore étroitement aux intérêts nationaux du pays. Par ailleurs, aujourd’hui, l’intensité carbone de l’économie américaine est trois fois inférieure à celle de l’économie chinoise. La Chine n’est donc pas le «géant vert» que certains se plaisent à décrire.