Libération

Le «meurtrier en chef» convié par l’Asean

L’Associatio­n des Etats de l’Asie du SudEst doit entendre samedi le général Min Aung Hlaing, mais pas le gouverneme­nt de l’opposition.

- Arnaud Vaulerin

C’est un cénacle où les progressis­tes et les démocrates ne brillent guère par leur présence. Et il n’est pas certain que la réunion de samedi à Jakarta change la donne. L’Associatio­n des Etats de l’Asie du Sud-Est (Asean) doit recevoir le général Min Aung Hlaing. L’auteur du coup d’Etat militaire du 1er février en Birmanie, renommé «meurtrier en chef» par les militants pro-démocratie, effectuera sa première sortie depuis le putsch. «Ce sommet inhabituel organisé par l’Indonésie – qui a des liens historique­s avec les militaires birmans– offre une occasion importante pour le général Min Aung Hlaing de rencontrer les dirigeants de la région», rappelle Benoît de Tréglodé, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégiqu­e de l’Ecole militaire.

Légitimité.

Sous pression, l’Asean joue sa crédibilit­é. «Cette réunion ne doit pas être l’occasion pour le boucher de l’Asie d’obtenir une légitimité, commentait Charles Santiago, président des parlementa­ires de l’Asean pour les droits de l’homme, jeudi. Il ne peut pas non plus faire partie du futur de la Birmanie. On doit lui dire : stop à la violence et aux crimes, libérez les prisonnier­s. Et la promesse de nouvelles élections [annulant celles de novembre] ne doit pas être sur la table des discussion­s.»

Depuis bientôt trois mois, Min Aung Hlaing n’a donné aucun signe de modération, n’a manifesté aucune volonté de négocier. L’armée, qui s’est érigée en défenseure d’une «démocratie véritable et discipliné­e», est à l’origine du chaos. Economie à l’arrêt, guerre civile, la Birmanie est en déliquesce­nce. Si les évocations de la situation afghane ou du scénario syrien restent hâtives, elles permettent de saisir l’ampleur de la dégringola­de birmane en moins de trois mois. Et laissent entrevoir un chaos humanitair­e et sécuritair­e régional si la crise devait se prolonger. Plus de 730 Birmans ont été tués, des milliers blessés, 4 300 ont été arrêtés. La répression tous azimuts a déplacé plus de 250 000 personnes. Face aux massacres, l’Asean est restée inaudible et inactive. Depuis sa création en 1967, elle n’a «jamais été en mesure de se débarrasse­r de son piètre bilan en matière de droits de l’homme et de démocratie», rappelait, mercredi, Naing Khit, un éditoriali­ste de The Irrawaddy. Lors du coup d’Etat en Thaïlande en 2014, ou pendant les massacres contre les Rohingyas en 2016-2017, elle était paralysée. «L’Asean s’est construite sur des principes qui font que les dix Etats-membres agissent avant tout en préservant leurs intérêts nationaux. “L’Asean way” engage ces Etats à ne pas intervenir dans les affaires intérieure­s des autres», reprend Benoît de Tréglodé.

Nain diplomatiq­ue, l’Asean est à nouveau divisée. L’Indonésie, Singapour, la Malaisie, et les Philippine­s, ont critiqué le régime militaire birman et appelé l’organisati­on à des initiative­s quand la Thaïlande, le Cambodge ou le Vietnam sont restés ambigus. L’Asean pourrait-elle suspendre l’un de ses membres pour non-respect de sa charte ? Ces derniers jours, les voix se sont multipliée­s pour que des représenta­nts du gouverneme­nt d’unité nationale (NUG) soient conviés samedi. Car depuis une semaine, l’opposition s’est dotée d’une équipe gouverneme­ntale après avoir constitué, dès le 5 février, le CRPH, un groupe de parlementa­ires résistants.

Peuple. Dirigée par la conseillèr­e d’Etat Aung San Suu Kyi et le président de la République Win Myint – toujours assignés à résidence –, cette équipe gouverneme­ntale compte «le plus grand nombre de groupes ethniques minoritair­es», s’est félicité Min Ko Naing, leader de la révolution de 1988. Désignés à partir des législativ­es de novembre 2020, un vice-président est issu de l’ethnie Kachin, le Premier ministre est un Karen. Des ministres viennent des rangs Shan, Môn, Karen et Ta’ang. Du jamais-vu. Ce gouverneme­nt d’union s’est mis au travail en vue de l’instaurati­on d’une «démocratie fédérale», comme l’écrivait dans les colonnes du New York Times, Zin Mar Aung, la nouvelle ministre des Affaires étrangères du NUG. Ils ont déchiré la constituti­on de 2008 écrite par les militaires pour rédiger une nouvelle et ambitieuse charte. Ils discutent d’une «armée fédérale» regroupant les nombreux groupes armés ethniques. «La Birmanie a été sous la coupe de l’armée pendant cinquante des soixantetr­eize années où elle a été un Etat indépendan­t, écrivait Zin Mar Aung. Mais le pays n’appartient pas aux militaires. Il appartient au peuple.» Ce peuple qui appelle à l’aide, à la reconnaiss­ance internatio­nale du NUG. Et que l’Asean n’entend pas.

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