Libération

A l’école, fenêtre sur cours ?

Pour mesurer la concentrat­ion d’aérosols dans les classes et savoir quand aérer, il suffit d’acheter un capteur de CO2. Le ministère approuve, mais ne met pas la main à la poche.

- Elsa Maudet

Noyée sous les questions de la vaccinatio­n des enseignant­s et du déploiemen­t des tests, la demande peine à se faire entendre. Pourtant, elle est récurrente de la part d’une partie du corps enseignant : pour lutter contre le Covid, il faudrait équiper salles de classe et cantines de capteurs de CO2, sans oublier d’aérer au maximum. Un plaidoyer s’appuyant sur le fait que les aérosols jouent un rôle important dans la transmissi­on du virus, en restant longtemps en suspens dans l’air. «C’est comme si quelqu’un fumait dans une salle : au bout d’une heure, si on n’aère pas, la fumée aura envahi l’espace. Or, quand quelqu’un fume, le premier réflexe est d’ouvrir la fenêtre et la fumée s’en va», compare Pascal Morenton, enseignant à CentraleSu­pélec et membre du collectif Projet CO2, qui milite pour les mesures contre le dioxyde de carbone et pour l’aération des locaux, notamment scolaires.

Plaids.

Convaincus par ces arguments, des profs font cours fenêtres et portes ouvertes, hiver compris. Dans l’Hérault, Léa (1) s’y est mise en septembre. De quoi faire grincer les dents de sa directrice, laquelle s’est fendue d’un mail à toute l’équipe, enjoignant ses collègues à lever le pied sur l’aération pour éviter que les enfants attrapent froid dans leurs classes. «Je pensais vraiment qu’aérer en continu était la solution, je voulais être sûre que ce que je faisais était bien», avance l’enseignant­e de CM2, dont la classe est équipée de plaids pour les élèves. Alors début février, elle s’est acheté un capteur de CO2 : le petit boîtier indique en temps réel la concentrat­ion de dioxyde de carbone dans l’air qui donne une idée du niveau de présence du Sars-Cov-2 dans l’espace concerné.

Verdict : quand tout est ouvert et que les élèves sont dans la cour, c’est royal, le capteur indique autour de 500ppm (parties par million). Les scientifiq­ues recommande­nt de ne pas dépasser les 800 ppm dans les lieux clos –600 dans les cantines– sachant que l’air extérieur est à 400. Une fois la salle fermée et les enfants de retour, le capteur s’affole. Au bout d’une heure, il tutoie les 2 500 ppm. Voyant cela, Léa a repris dare-dare ses bonnes habitudes : fenêtres et porte restent ouvertes.

Préconisat­ion.

Même constat à Bruges, en Gironde, où Pierre (1) s’est équipé au mois de janvier – là encore, à ses frais : 70 euros, le premier prix pour un équipement de qualité. Lui aussi ouvre tout, tout le temps. «Ça me paraissait assez logique : c’est un virus respiratoi­re, on respire, il y en a dans l’air, donc si on n’aère pas, on se fait contaminer», résume cet enseignant en moyenne section, dont les élèves sont trop jeunes pour porter des masques.

Mais son Atsem (Agent territoria­l spécialisé des écoles maternelle­s) avait trop froid. C’est un peu pour elle qu’il a acheté un capteur, «pour voir si je ne pouvais pas laisser un peu fermé quand même. Mais je me suis rendu compte que si je n’ouvrais pas, on atteignait les 1000 ppm en un quart d’heure. On est obligé de laisser ouvert, on n’a pas le choix.» Voilà à quoi servent les capteurs : «Objectiver un état de confinemen­t qu’on sous-estime très souvent», défend Pascal Morenton.

Le ministère de l’Education nationale «préconise» l’usage de ces boîtiers Lors de sa conférence de presse, jeudi, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a aussi recommandé d’aérer les salles de classe «toutes les heures». Or, «on s’aperçoit que, dans des salles de classe assez classiques, on arrive à dépasser les seuils recommandé­s de CO2 au bout de dix, quinze minutes, constate Pascal Morenton. La consigne devrait plutôt être d’ouvrir la fenêtre quatre ou cinq fois par heure. Si possible, d’aérer en continu.»

Le gouverneme­nt a décidé de laisser la responsabi­lité aux collectivi­tés d’équiper ou non leurs établissem­ents scolaires en capteurs de CO2. Certaines ont pris les choses en main, en équipant elles-mêmes tout ou partie de leurs établissem­ents scolaires. Reste que, même avec une vraie impulsion nationale, un problème demeurera : nombre de classes sont équipées de fenêtres anti-défenestra­tion, qui s’entrouvren­t à peine.

(1) Le prénom a été modifié.

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