CINÉMA AFRICAIN Zizanie en francophonie
Baisse des montants, impossibilité d’y avoir recours plus de cinq fois : les changements des conditions d’attribution d’un fonds d’aide ont fait réagir un collectif de réalisateurs africains, qui dénoncent la survivance de la Françafrique. L’organisme financeur prétexte la crise sanitaire.
Sur le papier, il y a l’idéal de coopération culturelle entre 88 Etats dans un espace linguistique partagé. Dans les faits, les modes d’intervention de l’Organisation internationale de la Francophonie (l’OIF) sont contestés, notamment à l’endroit des aides allouées à ce qui se fait encore appeler «cinémas du Sud». Le 26 août, dans une lettre adressée à la secrétaire générale, un collectif de 29 professionnels originaires des pays «ACP» (Afrique, Pacifique et Caraïbes) dénonçait «des dispositions incohérentes, voire discriminatoires, contenues dans le nouveau règlement du Fonds image Afrique». Un fonds d’environ un million d’euros, renforcé en 2020 par une importante contribution de l’Union européenne, qui vise à soutenir le financement du cinéma dans des pays où les capacités de production sont faibles mais qui ferait écho «aux pratiques abusives, discrétionnaires et opaques qui ont cours à la direction du cinéma et de l’audiovisuel» selon les signataires, parmi lesquels figure notamment le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis (lire ci-contre).
Ils visent d’abord cette nouvelle restriction, introduite dans le sillage d’autres refontes discrètes du règlement, sans concertation: les cinéastes ayant obtenu cinq fois une aide auprès de l’OIF au cours de ces trente dernières années n’y sont plus éligibles, courts ou longs métrages confondus. «C’est une aberration de bon sens et une atteinte au principe de non-rétroactivité, tempête le réalisateur guinéen Mama Keïta, cinq fois bénéficiaire de cette subvention sélective entre 1995 et 2008 et ayant donc épuisé les recours pour inscrire un sixième projet. Comment les aides obtenues en 1990 sur foi d’un règlement qui ne posait pas de limitations peuvent interdire d’y postuler aujourd’hui ?»
Trompe-l’oeil
Les échanges avec le service juridique de l’organisation n’y ont rien fait. Le collectif, qui n’a obtenu aucune audience à ce jour, n’en démord pas : cette clause d’obsolescence, qui pourrait disqualifier une génération de cinéastes, est le symptôme d’un arbitraire qui prospère à l’OIF, dont la France est l’un des plus gros Etats contributeurs. Et dit toute l’ambivalence du cordon nourricier qui lie les cinémas d’Afrique à l’ancienne puissance coloniale. Le prétexte de favoriser «l’émergence et l’épanouissement de jeunes talents» ? La réalisatrice gabonaise Nadine Otsobogo n’y croit pas. «Quelle cinématographie au monde se construit sans l’apport des plus expérimentés? De plus, le règlement stipule qu’un projet doit avoir obtenu au moins 40 % de son budget pour être éligible au fonds. Ce seuil est déjà discriminatoire, il élimine justement l’émergence de nouveaux talents. En 2005, il était à 20 %.»
Les commissions d’attribution des aides, renouvelées tous les deux ans et chapeautées par un membre permanent de l’OIF, sont composées de professionnels du cinéma issus d’une diversité de pays – cette année, Niger, Bénin, Tunisie, Cameroun…
Leur composition est pourtant mal connue, et le sentiment d’une ingérence dans les responsabilités domine. Sur quelles bases et par qui sont édifiées les règles du jeu ? Les réponses technocratiques n’apaisent en rien les suspicions.
Si l’OIF vantait en 2020 le triplement automatique de ses aides aux cinémas africains grâce au nouveau dispositif «clap ACP», abondé par l’UE, l’opération ressemble à un trompe-l’oeil de communication : au cours de cette «année record pour le financement des films du Sud», les montants versés par l’organisation (consultables sur le site) ont en fait baissé, de telle sorte que le bonus européen qui les multiplie par trois ressemble a un cachemisère. «Recevoir 30 000 euros pour mon prochain film qui coûte un million, et en échange, devoir intégrer leurs noms partout au générique, sur tous les documents… après trente-cinq ans de cinéma, c’est humiliant, s’insurge le réalisateur sénégalais Moussa Sène Absa. Nous ne sommes pas des mendiants !»
Mêlés à une critique du rôle politique nébuleux de l’OIF (diplomatie d’arrière-boutique, complaisance envers les élections irrégulières…), les griefs décrivent les dérives d’un organe de soft power aux relents de Françafrique. Pour cet autre fonds doté d’environ 300 000 euros et cogéré par la plateforme TV5 Monde Plus, sont ainsi éligibles les oeuvres «tournées à plus de la majorité en français pour le cinéma, et intégralement pour les autres genres». Une clause en contradiction avec les principes de reconnaissance de la «diversité linguistique» prônés par l’OIF. «TV5 Monde a été créée pour assurer la promotion de la langue française, explicite la directrice des acquisitions, Marjorie Vella, c’est la ligne historique inscrite dans notre charte et on ne peut déroger à l’ADN de la chaîne.»