Institut, virus beauté
Retour du trio pop français ironique et visionnaire, qui dessine la bande-son rêvée du prochain déconfinement.
Où, ailleurs qu’au sein de cet Institut (de beauté tordue et de sondages intimes), entendra-t-on parler à la fois d’état d’urgence «bien profond dans le cul», d’un DJ Barbu sous MDMA, d’un coach en éveil de conscience et d’une rencontre Tinder avec Jair Bolsonaro, son «parfum floral», sa «main douce et son membre viril» ? Depuis dix ans, à deux puis à trois, Arnaud Dumatin, Emmanuel Mario et Nina Savary animent cet atelier sensoriel à ciel ouvert dans les paysages périurbains et à la marge de la plupart des repères de la pop et de la chanson française. Un disque tous les cinq ans nous contemple, insectes désorientés en recherche d’extase et de réconfort, recensés par un entomologiste bavard au débit impavide et rassurés par des chants enveloppants, dans un labo musical hautement séduisant.
Tube à essai.
Après Ils étaient tombés amoureux instantanément (2011), Spécialiste mondial du retour d’affection (2016), le trio invite à partager l’Effet waouh des zones côtières, en confirmant au passage son génie des titrailles qui intriguent autant que leurs pochettes, projet photographique parallèle signé du remarquable Elie Jorand. Ce troisième tube à essai sonore aurait dû s’inscrire dans le prolongement chimique des précédents, si un virus n’en était venu troubler les formules qui se plient ainsi à l’urgence d’une écriture en temps réel, où il est question de présentiel-distanciel (On se voit demain), d’activités non essentielles et de sport confiné (Prenez soin de vous), de gel hydroalcoolique et de masques de protection grand public (Des échanges vraiment cul) comme autant de stigmates d’un cauchemar climatisé égrenés avec une calme et suave élégance de voix mixtes plus terrifiantes que n’importe quelle imploration bruyante.
Ce disque ample déborde évidemment de ce cadre conjoncturel et ne ressemble en rien à une litanie de chaînes d’info, plus volontiers à un objet de contemplation contemporaine, clinique et sensuel à la fois, Houellebecquien sans le fond de cuve réac, rythmé et haletant comme un paysage qui défile et entraînerait vers un inexorable chaos amniotique et hypnotique. Emmanuel Mario, par ailleurs maître d’oeuvre du projet Astrobal, aperçu également dans le sillage d’Arnaud Fleurent-Didier (auquel on pense parfois ici) ou de Laetitia Sadier, a ramené pour l’occasion sa panoplie cosmique la plus seyante, déployant des phéromones synthétiques qui rendent le voyage encore plus inoubliable.
Fluides.
On songe (c’est le mot) aux Belges trop oubliés de Polyphonic Size, aux musiques de films seventies de Karl-Heinz Schäfer, voire à une rencontre fantasmée entre Yves Simon et Stereolab avec Burgalat pour faire les présentations (Je suis dans la data). Autant dire que les frontières sont larges et les fluides nombreux à y pénétrer. Précis du déconfinement réalisé sous camisole domestique, cet Effet waouh des zones côtières est probablement le disque qui identifiera le mieux cette drôle d’époque dans dix ou vingt ans, et peut-être qu’alors on nous trouvera chanceux de l’avoir eu comme compagnon de spleen.
INSTITUT L’EFFET WAOUH DES ZONES CÔTIÈRES (Rouge Déclic /Believe)