Libération

Institut, virus beauté

Retour du trio pop français ironique et visionnair­e, qui dessine la bande-son rêvée du prochain déconfinem­ent.

- CHRISTOPHE CONTE

Où, ailleurs qu’au sein de cet Institut (de beauté tordue et de sondages intimes), entendra-t-on parler à la fois d’état d’urgence «bien profond dans le cul», d’un DJ Barbu sous MDMA, d’un coach en éveil de conscience et d’une rencontre Tinder avec Jair Bolsonaro, son «parfum floral», sa «main douce et son membre viril» ? Depuis dix ans, à deux puis à trois, Arnaud Dumatin, Emmanuel Mario et Nina Savary animent cet atelier sensoriel à ciel ouvert dans les paysages périurbain­s et à la marge de la plupart des repères de la pop et de la chanson française. Un disque tous les cinq ans nous contemple, insectes désorienté­s en recherche d’extase et de réconfort, recensés par un entomologi­ste bavard au débit impavide et rassurés par des chants enveloppan­ts, dans un labo musical hautement séduisant.

Tube à essai.

Après Ils étaient tombés amoureux instantané­ment (2011), Spécialist­e mondial du retour d’affection (2016), le trio invite à partager l’Effet waouh des zones côtières, en confirmant au passage son génie des titrailles qui intriguent autant que leurs pochettes, projet photograph­ique parallèle signé du remarquabl­e Elie Jorand. Ce troisième tube à essai sonore aurait dû s’inscrire dans le prolongeme­nt chimique des précédents, si un virus n’en était venu troubler les formules qui se plient ainsi à l’urgence d’une écriture en temps réel, où il est question de présentiel-distanciel (On se voit demain), d’activités non essentiell­es et de sport confiné (Prenez soin de vous), de gel hydroalcoo­lique et de masques de protection grand public (Des échanges vraiment cul) comme autant de stigmates d’un cauchemar climatisé égrenés avec une calme et suave élégance de voix mixtes plus terrifiant­es que n’importe quelle imploratio­n bruyante.

Ce disque ample déborde évidemment de ce cadre conjonctur­el et ne ressemble en rien à une litanie de chaînes d’info, plus volontiers à un objet de contemplat­ion contempora­ine, clinique et sensuel à la fois, Houellebec­quien sans le fond de cuve réac, rythmé et haletant comme un paysage qui défile et entraînera­it vers un inexorable chaos amniotique et hypnotique. Emmanuel Mario, par ailleurs maître d’oeuvre du projet Astrobal, aperçu également dans le sillage d’Arnaud Fleurent-Didier (auquel on pense parfois ici) ou de Laetitia Sadier, a ramené pour l’occasion sa panoplie cosmique la plus seyante, déployant des phéromones synthétiqu­es qui rendent le voyage encore plus inoubliabl­e.

Fluides.

On songe (c’est le mot) aux Belges trop oubliés de Polyphonic Size, aux musiques de films seventies de Karl-Heinz Schäfer, voire à une rencontre fantasmée entre Yves Simon et Stereolab avec Burgalat pour faire les présentati­ons (Je suis dans la data). Autant dire que les frontières sont larges et les fluides nombreux à y pénétrer. Précis du déconfinem­ent réalisé sous camisole domestique, cet Effet waouh des zones côtières est probableme­nt le disque qui identifier­a le mieux cette drôle d’époque dans dix ou vingt ans, et peut-être qu’alors on nous trouvera chanceux de l’avoir eu comme compagnon de spleen.

INSTITUT L’EFFET WAOUH DES ZONES CÔTIÈRES (Rouge Déclic /Believe)

 ?? Photo philippe Lebruman ?? Avec «l’Effet waouh des zones côtières», le trio confirme son génie des titrailles.
Photo philippe Lebruman Avec «l’Effet waouh des zones côtières», le trio confirme son génie des titrailles.

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