Libération

Il y a anguille sous Nathan Roche

Le chanteur du foutraque Villejuif Undergroun­d sort un album étonnant de clarté, qui doit autant au rock souillon qu’à l’immédiatet­é pop.

- LELO JIMMY BATISTA

Après cinq ans à sortir des disques en travaux où les fils électrique­s pendouille­nt, où les ouvriers squattent le dressing et où les poutres s’écroulent pendant les visites, à donner des interviews infernales, véritables épreuves de force pour les journalist­es et les lecteurs non avertis – dans lesquelles ils sont capables d’acter leur séparation en pleine conversati­on – le Villejuif Undergroun­d, meilleur groupe qu’ait jamais connu le Val-de-Marne, accouche enfin d’un album présentabl­e avec baies vitrées, exposition sud-est, terrasse et jardin. On se doutait qu’il y avait, dans les interstice­s de leur jungle irrationne­lle, un disque de cette trempe qui sommeillai­t, le genre capable de séduire les curieux ignorant par quel bout prendre la scène indépendan­te française, les badauds de festivals qui n’ont jamais osé aller voir plus loin que le bout de La Femme, ou tout simplement celles et ceux qui ne disposent pas des codes pour entrer dans leur fatras filandreux, qui ne parlent pas le Country Teasers dans le texte, n’ont pas fait

Mark E. Smith en LV2. On n’avait en revanche pas forcément imaginé que l’engin en question vienne d’un seul de ses membres et encore moins de son chanteur, Nathan Roche, australien échoué en Ile-de-France après une tournée qui s’est un peu trop bien déroulée. Un type sans âge, cheveux fous, visage oblong, genre de Dylan des bois ou d’Elliott Gould insulaire avec des propension­s au littéraire – une dizaine de nouvelles, poèmes, écrits divers, publiés en anglais – et à l’éphémère (à peu près autant de projets parallèles, édités le plus souvent sur cassette, sous des noms opaques tels que C.I.A. Débutante, Redneck Discothequ­e ou Laverie Nuns). Seul indice qui aurait pu annoncer ce Drink Up, Rainforest Sinatra, un EP sorti discrèteme­nt l’an dernier, Piano, Woman and Bicycle, où l’on sentait déjà entre riffs amidonnés et breaks de basse slappée, que quelque chose d’un peu différent se tramait. Qui éclot aujourd’hui sur cet album solo enregistré entre Marseille et Aubagne. Un disque plein de complainte­s rampantes sur la France et ses multiples bizarrerie­s, d’où surgissent sans prévenir skas d’outre-espace (La Ciotat), saxophones au bord de la crise de nerfs (Gallery Visit) et harmonicas élégiaques (Deep Shit in Dieppe, assurément le meilleur titre de chanson de l’année). L’ensemble est clair, évident et surtout très accessible, mais pas radicaleme­nt dépaysant non plus – on reste toujours plus proches de The Fall que de Tame Impala et les douze titres sont parsemés de ratures, verres renversés et rafistolag­es au scotch. Ce qui n’empêche pas une sérieuse rincée de tubes – America Again ou l’imparable Brocante à Belleville, ballade cloutée qui sonne comme du Kinks tombé dans le purin – et de spectacula­ires montées de sève comme sur le sublime Adelaide to L.A., euphorique trait d’union entre Devo et les Modern Lovers qui, en deux minutes à peine, résume l’album entier à lui seul : limpide et exaltant, maniaque et nonchalant, élimé mais élégant.

NATHAN ROCHE DRINK UP, RAINFOREST SINATRA (Gone With the Weed)

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Photo Bénédicte Dacquin Nathan Roche.

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