Des pluches aux paluches
Guillaume Gomez L’ex-cuisinier de l’Elysée, qui a nourri Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron, vient d’être nommé par ce dernier porte-flambeau de la gastronomie française.
Il parle vite, beaucoup, avec les mains. Il s’excuse souvent d’être trop bavard, avec un sourire mi-inquiet mi-enfantin. Sur les associations humanitaires qu’il soutient, notamment à Madagascar et au Sénégal, il est intarissable. Surtout, Guillaume Gomez, 42 ans, ne veut oublier de citer aucun de ceux qui ont marqué son parcours. Johny Bénariac, son premier maître d’apprentissage en cuisine, dans un restaurant (aujourd’hui fermé) du XIIe arrondissement de Paris. Jacques Le Divellec, le patron de la première table doublement étoilée dans laquelle il a fait ses armes. Joël Normand et Bernard Vaussion, les deux chefs de cuisine de l’Elysée qui l’ont précédé. Les quatre présidents qu’il a servis, aussi bien lors de dîners officiels que pour leurs repas privés : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Ce dernier l’a nommé, en mars, représentant personnel du président de la République, rattaché au Quai d’Orsay, sur les questions de gastronomie. La situation des restaurants à l’heure du Covid-19, la crise de vocations dans le métier ou encore la promotion des produits français à l’étranger sont ses chevaux de bataille. Guillaume Gomez a donc troqué le tablier et la toque pour le costume cravate, en quittant les cuisines «du palais», où il avait passé un quart de siècle. «J’étais arrivé au bout d’une démarche personnelle, j’avais besoin d’un nouveau challenge», avance-t-il, installé dans un bureau du XVIe arrondissement prêté pour l’entretien par un copain, où ses mains danseuses se reflètent sur la table en verre en un ballet un peu hypnotique.
Ses mains, qui accompagnent désormais son discours, sont son premier instrument de travail. Depuis ses 14 ans, elles ont récuré des cuivres, pétri des pâtes, découpé des viandes, dépiauté des poissons, battu des sauces, fouetté des oeufs et des crèmes, épluché des fruits et légumes… Elles lui servent aujourd’hui surtout à serrer des paluches et à rédiger des notes à l’attention du Président. Peut-être que cela ferait plaisir à l’un de ses anciens professeurs de mathématiques, qui, étonné que le jeune garçon se destine à la cuisine alors que ses notes étaient bonnes, avait dit à sa mère: «Madame, vous envoyez votre fils faire de la cuisine alors qu’il pourrait faire un vrai métier.» «C’était bienveillant, il ne comprenait juste pas, la cuisine, pour lui, c’était pire qu’une voie de garage», se souvient-il. Ses parents, des brocanteurs de Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), savent que leur fils unique rêve de fourneaux depuis l’enfance. Personne ne sait trop bien pourquoi, pas même le principal intéressé. Ils le soutiennent, même si la bonne chère est étrangère à leur vie. «Je n’ai pas été élevé à la gastronomie, c’était surtout des pâtes et des conserves, raconte-t-il. Déjà on avait des moyens très limités. Et puis, je n’ai pas, contrairement à des copains chefs, une histoire d’une grand-mère qui cuisinait bien, ou des cousins à la campagne qui tuaient le cochon ou qui élevaient leurs poules ! Je ne me souviens pas être allé au restaurant, petit. Jamais. C’était peutêtre une pizza une fois par an quand c’était fête.»
En apprentissage, dit-il, «j’ai tout découvert. Avant ça, je n’avais jamais goûté une asperge, une girolle, un gibier… Tout ce que je mangeais, je trouvais ça fantastique. Ça me semblait être le restaurant le plus merveilleux du monde. Ma grosse problématique, c’était par rapport au goût, je ne savais pas comment les choses devaient être assaisonnées. Je pensais que je ne deviendrais jamais un bon cuisinier si je ne savais pas définir ce qui était assez salé, assez assaisonné…». Une seule personne s’est plainte publiquement de ses plats (l’ancienne ministre Nicole Bricq, qui confia en 2014, sans aucune discrétion, au couple Ayrault qu’elle avait trouvé le repas servi lors de la visite du président chinois «dégueulasse») –c’est donc qu’il a dû y parvenir…
Guillaume Gomez, qui n’avoue qu’une répugnance culinaire (les tripes), fut commis, puis très vite chef de partie chez Le Divellec, spécialiste des poissons, dans le VIIe arrondissement de Paris, quartier où il vit aujourd’hui avec sa compagne, qui travaille dans le milieu de la bonne bectance, et leurs deux fillettes. «On m’a fait confiance. Quand on parle d’ascenseur social, ça fonctionne vraiment dans ce métier.» C’est à l’occasion de son service militaire qu’il se trouve une place à l’Elysée, sans imaginer y rester très longtemps. «Rien ne me destinait à y entrer. Mes parents en étaient très fiers. Je sais d’où je viens, je sais ce que je dois au pays, assure ce fils d’un Andalou et d’une Parisienne, morts lorsque Gomez avait la vingtaine. Quand vous êtes cuisinier en France, vous avez un vrai statut social, je vois bien que ce n’est pas toujours le cas ailleurs.» L’homme se veut humble et fidèle. «C’est quelqu’un de très simple et naturel», confirme Jean-Marc Mormeck, ex-champion du monde de boxe, aujourd’hui délégué régional d’Ile-de-France aux quartiers populaires. Les deux hommes ont sympathisé, d’autant que Guillaume Gomez pratique aussi la boxe (française), quand il ne court ou ne bouquine pas.
Ce grand défenseur de l’apprentissage veut aussi mettre l’accent sur le recrutement de femmes ou de personnes en situation en handicap, ou sur la lutte contre les violences en cuisine : «Dans mon parcours, j’ai eu des gens intelligents qui n’avaient pas besoin de me taper dessus pour faire rentrer les choses. Mais je sais que ça existe, même si je sais aussi que ce n’est pas partout.» De l’Elysée, celui qui a été sacré à l’âge de 25 ans meilleur ouvrier de France (MOF) s’est aussi consacré à mettre en valeur les producteurs français, notamment via son compte Instagram, ultra-suivi (173 000 abonnés). Pour Gomez, rien que de très naturel : «Moi, je n’ai rien à vendre, je n’ai pas de restaurant, c’est normal de mettre un peu la lumière sur les producteurs.»
De ses opinions politiques, il ne dit évidemment rien. A-t-il eu parfois du mal à faire la popote, pour des dictateurs ou des personnages peu recommandables ? Pas à lui de juger qui la République invite à sa table, évacue-t-il. On lui demande s’il aurait pu travailler pour n’importe quel président : «La question de partir ne s’est pas posée.» Sa proximité avec les chefs de l’Etat l’a convaincu que, quel que soit leur bord, tous étaient de gros bosseurs : «On ne parlait pas des mêmes sujets avec François Hollande ou Nicolas Sarkozy, mais vous ne pouvez pas dire que vous avez perdu votre temps quand vous avez discuté une demiheure avec eux! Et quand je partais à 2 heures du matin de l’Elysée, ce n’était jamais moi qui éteignais la lumière.» •
8 août 1978 Naissance à Paris.
1997 Entre à l’Elysée.
Janvier 2004 Meilleur ouvrier de France.
2013 Chef des cuisines de l’Elysée.
Mars 2021 Quitte son poste.