La police à nouveau ciblée
Une policière a été assassinée au couteau vendredi dans le commissariat de Rambouillet. Le Parquet antiterroriste a immédiatement été saisi. Un attentat qui intervient dans un contexte politique dominé par les questions sécuritaires.
Les Yvelines, une nouvelle fois en deuil. Cinq ans après l’attentat de Magnanville, six mois après l’assassinat de Samuel Paty, le département renoue avec la violence terroriste. Vendredi, en ce début d’après-midi, Stéphanie M., 49 ans, a été fauchée alors qu’elle rentrait de sa pause déjeuner au commissariat de Rambouillet, ville où elle travaillait depuis vingthuit ans. Secrétaire administrative, cette petite femme souriante aux yeux bleu clair ne portait donc pas d’arme sur elle quand un homme armé d’un couteau l’a frappée deux fois à la gorge dans le hall de l’entrée du commissariat. Les pompiers n’ont pas réussi à la réanimer. Elle était mariée et était mère de deux filles, âgées de 18 et 13 ans. L’assaillant a été abattu. Le Tunisien de 36 ans serait arrivé en France en 2009, en situation irrégulière, et avait bénéficié en 2019 d’une autorisation exceptionnelle de séjour salarié, puis d’une carte de séjour en décembre 2020, valable jusqu’en décembre 2021, selon le Parquet national antiterroriste. L’homme était inconnu des services de police et du renseignement. En fin d’après-midi, une opération de police a été menée à son domicile de Rambouillet. Une perquisition avait également lieu à Thiais (Valde-Marne), ville où il avait résidé auparavant. Au moins trois personnes de l’entourage de l’assaillant étaient placées en garde à vue vendredi soir.
Sur les réseaux sociaux, révèle l’AFP, le trentenaire diffuse des posts publics consacrés en nombre à la dénonciation de l’islamophobie ou des propos de polémistes comme Eric Zemmour. Mais à partir d’avril 2020, lors du premier confinement, il ne publie plus que de pieuses prières et des versets coraniques, selon l’agence de presse, qui affirme que le 24 octobre, soit huit jours après l’assassinat du professeur de collège Samuel Paty par un islamiste, il avait changé sa photo de profil et rejoint une campagne intitulée «Respectez Mohamed prophète de Dieu».
«Déchirement»
Le Parquet national antiterroriste a annoncé dans la foulée s’être saisi des faits et avoir ouvert une enquête «de flagrance des chefs d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste». En cause : «des éléments de repérages», le profil de la victime, «mais aussi les propos tenus par l’auteur de la réalisation des faits», a précisé le procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, qui s’est rendu sur place en fin d’après-midi. A ses côtés, le Premier ministre, Jean Castex, et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sont venus montrer leur soutien aux fonctionnaires de police. «Je voudrais dire à l’ensemble des Français et des Françaises combien notre détermination à lutter contre le terrorisme sous toutes ces formes est plus que jamais intacte», a déclaré le chef du gouvernement devant les caméras. «Nous ne céderons rien» face «au terrorisme islamiste», a déclaré de son côté Emmanuel Macron sur Twitter. Selon des sources proches de l’enquête, des témoins affirment que l’homme a crié «Allah Akbar» avant de s’en prendre à la fonctionnaire de police.
Au sein du commissariat, les fonctionnaires de police sont sous le choc. Pour Géraldine V., 50 ans, brigadier PJ qui a travaillé deux ans au côté de Stéphanie M., «c’est un déchirement». Elle se souvient d’une femme «exemplaire», «discrète» et «charmante», qui «rendait service à l’ensemble du commissariat» : «C’était notre système nerveux.» Sur son bureau, au premier étage, elle avait posé le portrait de ses deux filles, «dont elle était très proche». Les week-ends, elle faisait aussi la comptabilité de son mari, boulanger dans la ville voisine de Thoiry, raconte son acienne collègue.
«Incompréhension»
Le commissariat de Rambouillet est implanté dans un quartier calme et résidentiel. «Jamais je n’aurais pensé que ça puisse arriver ici», affirme Anne, en sweat orange et ballerines roses, qui habite à quelques pas. A 65 ans, elle a toujours vécu ici, dans cette ville qu’elle qualifie de «bourgeoise, hyper catho et bienpensante» où elle s’est «toujours sentie protégée». Une bien-pensance toute relative dans la bouche de cet habitant d’une quarantaine d’années: «On ferait bien de faire du tri aux frontières, si on le faisait correctement, ce genre d’événement n’arriverait pas.» Le père Amaury Sartorius, curé de la paroisse, lui, se dit «inquiet». Son presbytère est situé à 200 mètres du commissariat. «Les policiers sont toujours dehors pour nous protéger lors des grandes fêtes. Il faut qu’on leur montre notre soutien.» Philippe, quinquagénaire qui promène son chien à la faveur du temps ensoleillé, s’interroge: «J’aimerais bien savoir si c’est un vrai terroriste ou un détraqué.» Jérôme, un éducateur qui vit dans le quartier, vient de rentrer du travail et de découvrir, un peu ahuri, le meurtre en bas de chez lui. D’une voix saccadée, il égrène sa «tristesse» et son «incompréhension». Pour autant, il dit «ne pas être en psychose». Ce qui le tourmente le plus, vu le profil de l’assaillant tunisien, c’est que «tout ça parte encore dans tous les sens sur le racisme». «J’ai 40 ans, je suis né dans les années 80, à une époque où tout le monde voulait vivre ensemble. Revenir en arrière comme ça, c’est difficile», regrettet-il. Même état d’esprit pour Bruno, 53 ans, en pleins travaux dans son jardin. Perché sur un escabeau, il lâche, dépité : «Tout ça, c’est du pain bénit pour Le Pen !» •