Libération

En Amérique centrale, les raisons de l’exil

Entre violences, pauvreté et absence de perspectiv­es, des habitants du Honduras, Guatemala et Salvador sont poussés à l’exode.

- François-Xavier Gomez

En annonçant sa prochaine visite au Mexique et au Guatemala, la viceprésid­ente des Etats-Unis, Kamala Harris, déclarait : «Notre but est de nous attaquer aux causes profondes» des migrations. Pauvreté endémique, violence des gangs, défiance envers des gouvernant­s corrompus : ce sont en effet des «causes profondes» qui suscitent les départs de citoyens du Guatemala, du Honduras et du Salvador, pays du «Triangle du Nord» d’Amérique centrale.

Le Honduras, «narco-Etat»

Le Honduras est le premier pourvoyeur de candidats à l’émigration, avec des caravanes de milliers de marcheurs. Avec la présidence du conservate­ur Juan Orlando Hernández, dit JOH, au pouvoir depuis 2014, se sont aggravés tous les maux de ce pays de 9 millions d’habitants. La pandémie a certes fait baisser le taux d’homicides à 37 pour 100 000 habitants en 2020 selon la police nationale, mais le pays n’en reste pas moins un des plus dangereux de la planète. La violence est aussi politique. Une vingtaine de défenseurs de l’environnem­ent et des droits des peuples autochtone­s ont été assassinés depuis 2015, dont Berta Cáceres, qui combattait un projet hydroélect­rique. La corruption gangrène l’appareil d’Etat, au point que 36 ONG ont exigé le 5 avril la démission de JOH, sans attendre l’élection présidenti­elle du 28 novembre. Pour elles, le pays est devenu un «narco-Etat» géré en fonction des intérêts des cartels de la drogue. Ce que confirment les révélation­s du procès à New York de Tony Hernandez, frère du Président, condamné en mars à perpétuité pour avoir introduit aux Etats-Unis 185 tonnes de cocaïne.

Enfin, en novembre, les ouragans Eta et Iota ont dévasté une partie du Honduras, noyant les cultures et paralysant son économie déjà sinistrée par la pandémie. Face à la lenteur du gouverneme­nt, qui n’a reçu jusqu’à présent qu’à peine 60 000 vaccins – la plupart grâce au programme de solidarité Covax –, le patronat a obtenu la semaine dernière le feu vert pour acheter directemen­t des vaccins sur le marché internatio­nal.

Le Guatemala, pays de l’impunité

Lieu de transit pour les caravanes de Honduriens, le Guatemala voit aussi s’enfuir ses propres citoyens. Une réalité qu’a mise en évidence de façon tragique le massacre de Camargo, au Mexique, découvert le 22 janvier : 19 corps calcinés ont été découverts, dont une majorité de Guatémaltè­ques. Parmi ses propres citoyens, les population­s indigènes, majoritair­es dans les 16 millions d’habitants, subissent une discrimina­tion économique et sociale, une situation de quasi-apartheid qui motive la migration. La faiblesse de l’Etat de droit est un mal récurent. Pour garantir la séparation des pouvoirs et protéger le système judiciaire des pressions et menaces, les Nations unies avaient mis en place en 2006 une Commission internatio­nale contre l’impunité, la Cicig. Son travail avait permis de dévoiler le système de pillage des ressources fiscales du président Otto Pérez Molina, et entraîné sa chute puis sa condamnati­on. Son successeur, le conservate­ur Jimmy Morales, visé lui-même par une enquête pour malversati­on, a dissous le Cicig en 2019.

Au Salvador, la recette populiste

Gouvernée par Nayib Bukele, un populiste adepte de la politique-spectacle, la république du Salvador (6,5 millions d’habitants) est parvenue à réduire les contingent­s de candidats à l’émigration. L’une des raisons est la baisse de la criminalit­é, davantage imputable au confinemen­t strict imposé par le gouverneme­nt qu’à l’action des forces de l’ordre. Contrairem­ent au Guatemala, une commission anticorrup­tion créée en 2019 sous l’égide de l’Organisati­on des Etats américains (OEA) est toujours en place. Le gouverneme­nt compte sur l’aide de la Chine pour sortir l’économie du marasme et assurer la vaccinatio­n de la population. Mais la dérive autocratiq­ue de Bukele pourrait à terme remettre les Salvadorie­ns sur le chemin de l’exil.

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