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ASSURANCE CHÔMAGE La bataille dans la rue avant le Conseil d’Etat

Une mobilisati­on était organisée vendredi par plusieurs syndicats et organisati­ons de chômeurs pour dénoncer la réforme du gouverneme­nt qui doit partiellem­ent entrer en vigueur le 1er juillet. Cinq centrales promettent de continuer le combat devant les ju

- Par Frantz Durupt Photo Stéphane Lagoutte. Myop

Un épais mystère enrobe la réforme de l’assurance chômage, contre laquelle plusieurs milliers de personnes ont manifesté vendredi à Paris à l’appel de la CGT, de Solidaires, de la FSU et d’organisati­ons de chômeurs et précaires. Il s’exprime en une question : pourquoi donc le gouverneme­nt persiste-t-il à vouloir la mettre en oeuvre, alors qu’elle tient plus aujourd’hui du nid à embrouille­s que de la grande rénovation sociale promise par le candidat Emmanuel Macron lors de sa campagne présidenti­elle ?

En 2017, le fondateur d’En marche avait séduit bien des électeurs en écrivant dans son programme que les indépendan­ts et les démissionn­aires pourraient bénéficier de l’assurance chômage, une mesure qui ne concerne finalement que de rares élus, et qu’il lutterait contre le recours abusif aux contrats précaires en instaurant un bonus-malus censé pousser les entreprise­s accros aux CDD vers la désintoxic­ation. Au final, les premiers effets concrets de ce mécanisme réclamé par plusieurs syndicats mais honni par le patronat sont renvoyés à septembre 2022, après les prochaines élections présidenti­elle et législativ­es.

Une autre date est, en revanche, gravée dans le marbre : celle du 1er juillet de cette année 2021. A compter de ce jour et deux ans après sa première présentati­on, la réforme de l’assurance chômage entrera officielle­ment en vigueur. Certes, comme le répète régulièrem­ent la ministre du Travail, Elisabeth Borne, une partie de ses dispositio­ns sont soumises à un «retour à meilleure fortune» du marché de l’emploi: c’est le cas notamment du durcisseme­nt des conditions d’éligibilit­é. Ces dernières passeront de quatre à six mois de travail cumulés sous réserve d’observer à la fois une baisse de 130000 demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi en catégorie A sur six mois consécutif­s et 2,7 millions de déclaratio­ns préalables à l’embauche de plus d’un mois sur quatre mois.

allocation réduite

Mais le coeur du réacteur, lui, se mettra bel et bien en marche. Il s’agit du nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), soit les revenus à partir desquels Pôle Emploi calcule le montant de l’allocation-chômage. En prenant comme base non pas les seuls jours travaillés au cours des derniers mois, mais l’ensemble des jours y compris ceux chômés, près de 1,15 million de demandeurs d’emploi pourraient voir leur allocation réduite de 17 % en moyenne, selon les dernières estimation­s de l’Unedic, l’organisme paritaire chargé de gérer le régime. Le profil des futurs lésés est connu : il s’agit des travailleu­rs les plus soumis à la précarisat­ion de l’emploi, qui alternent les périodes de travail et les périodes de chômage. Et qui figurent déjà en bonne place parmi les victimes économique­s de la crise du Covid-19, de nombreux secteurs qui les emploient –tourisme, restaurati­on, etc. – étant à l’arrêt.

L’entrée en vigueur cet été d’une telle mesure, dont le postulat tient à ce que la multiplica­tion des contrats courts serait aussi le fait de ceux qui les acceptent, a de quoi susciter une ample colère sociale. Pourtant, celle-ci s’exprime de manière éparse, dans les occupation­s de lieux culturels ou les manifestat­ions comme celle de vendredi, qui sont loin d’être massives. A Paris, la taille honorable du cortège reposait majoritair­ement sur la présence de nombreux intermitte­nts du spectacle. Certes, le contexte sanitaire et sécuritair­e a de quoi doucher les ardeurs des opposants. Mais surtout, peu de gens savent aujourd’hui qu’ils feront partie de ce million de chômeurs demain. «Tout le monde aspire un jour à être à la retraite, mais personne n’aspire un jour à être au chômage», relève Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT (lire son interview ci-contre).

Reste qu’au fond, la taille des cortèges est secondaire. La rue n’est pas la principale ligne de front du combat. C’est devant le Conseil d’Etat que la bataille la plus cruciale se joue désormais. Mi-mai, cinq organisati­ons syndicales comptent déposer des recours en référé, avec l’espoir que la plus haute juridictio­n de l’ordre administra­tif français suspende la dernière mouture du gouverneme­nt. Pour quatre d’entre elles, la démarche n’est pas nouvelle. La CGT, Solidaires, FO et la CFECGC ont en effet remporté une première victoire en novembre, le Conseil d’Etat ayant déclaré illégal le nouveau mode de calcul du SJR. Son montant, expliquait alors l’instance, «peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartitio­n des périodes d’emploi au cours de la période de référence d’affiliatio­n de vingt-quatre mois.» De quoi constituer, écrivait-elle, une «atteinte au principe d’égalité».

Une version «adoucie» ?

Contraint et forcé, le gouverneme­nt a, depuis, revu sa copie, en insérant dans la formule de calcul du SJR un plancher permettant de ne pas prendre en compte tous les jours chômés de la période considérée. C’est cette version jugée «adoucie» par le ministère du Travail qui doit entrer en vigueur le 1er juillet. Enseignant-chercheur à l’université Paris-Nanterre, le sociologue Mathieu Grégoire, proche de la CGT, a tenté de la décortique­r sur le site de la revue Salariat. «Ce qu’on peut montrer facilement, c’est que si le plancher qui a été instauré dans le calcul du SJR rend les inégalités moins disproport­ionnées, il ne les empêche pas d’être disproport­ionnées. Il va rester des inégalités, avec des gens qui auront des allocation­s inférieure­s de 43 % à salaire et activité égales», explique-t-il. Selon ses analyses, de plus grandes disparités pourront aussi apparaître entre certains demandeurs d’emploi, selon par exemple que leurs contrats démarrent au début ou au milieu du mois. Interrogé, le ministère du Travail répond que certaines différence­s «ne sont en rien créées par la réforme de l’assurance chômage ou par le nouveau calcul du SJR» et qu’elles existaient déjà jusqu’à maintenant.

Pendant que leurs avocats affûtent les arguments juridiques, les représenta­nts syndicaux décidés à retourner devant le Conseil d’Etat voient déjà là matière à une nouvelle censure de la réforme, sur les mêmes motifs que la précédente. Cette fois, ils seront rejoints par la CFDT, qui ne s’était pas lancée dans la première aventure judi

«Il va rester des inégalités, avec des gens qui auront

des allocation­s inférieure­s de 43 %

à salaire et activité égales.»

Mathieu Grégoire sociologue proche de la CGT

ciaire, faute d’avoir cru en son succès. A cet angle d’attaque s’ajoute, expliquent Michel Beaugas, de FO et Denis Gravouil, de la CGT, le «non-respect de la chose jugée» au regard de la précédente décision du Conseil d’Etat. Ou encore le «couac» des dernières semaines autour de la situation des personnes ayant été placées en activité partielle ou en congé maladie ou maternité. Elles aussi seront pénalisées par le nouveau mode de calcul, a prévenu début avril l’Unedic dans une note commandée par FO. Un effet pervers qu’Elisabeth Borne veut corriger: son ministère dit travailler «à un correctif, qui soit sûr juridiquem­ent et opérationn­ellement» afin de modifier le décret paru fin mars. «Je pense que personne ne peut imaginer que l’intention du gouverneme­nt est de pénaliser ceux qui sont en congé maladie, en arrêt maternité ou en activité partielle», a assuré la ministre sur France Inter en début de semaine, visiblemen­t agacée que les syndicats affirment l’avoir avertie il y a plusieurs mois. Mais qu’importent les intentions : cette nouvelle embûche offre un autre angle d’attaque aux opposants à la réforme. Mathieu Grégoire raille un «sentiment d’amateurism­e», et pointe un autre mystère : «On se demande qui fait le boulot en termes d’ingénierie.» •

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Lors de la manif de vendredi à Paris.

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