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Funéraille­s d’Idriss Déby au Tchad : l’oraison du plus fort

A N’Djamena, vendredi, une dizaine de chefs d’Etat africains et Emmanuel Macron ont rendu hommage au maréchal tchadien mort au combat lundi.

- Par Célian Macé Envoyé spécial à N’Djamena

Les militaires de la haie d’honneur ont posé leurs armes sur l’asphalte déjà tiède de la place de la Nation et reculé de quelques pas. Une à une, les kalachniko­vs sont inspectées par les hommes de la garde présidenti­elle. Cliquetis des armes, vérificati­on des chargeurs vides, gâchettes pressées, canons pointés vers le ciel. Puis, fouille des soldats. L’armée tchadienne, à cran, ne lésine pas sur la sécurité. Elle a perdu son chef, Idriss Déby Itno, lundi, sur le champ de bataille, dans le désert du Kanem. Ce vendredi, ses funéraille­s sont organisées dans la capitale du Tchad.

Une douzaine de chefs d’Etat sont présents à la cérémonie, dont Emmanuel Macron, seul président à être venu d’un autre continent que l’Afrique. Ses homologues du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger) sont évidemment là. Tous alignés face à la dépouille de leur «premier soldat», l’homme qui régna sur le Tchad d’une main de fer pendant trente ans. Sa casquette et son bâton de maréchal – il avait été élevé à ce rang honorifiqu­e l’été dernier – sont posés sur le cercueil. Accrochées aux piliers de la tente funéraire, des roses en plastique blanc sont censées apporter un peu de «fraîcheur» à l’hommage écrasé de chaleur.

«Peur du vide».

Les 21 coups de canon font vibrer l’air et trembler le sol. «Ne paniquez pas», avaient prévenu les autorités à plusieurs reprises. «Allah Akbar», répond la foule endeuillée. L’immense place de la Nation, sur laquelle les partisans d’Idriss Déby avaient salué son élection à un sixième mandat lundi dernier, est cette fois loin d’être remplie. On y croise davantage de militaires, aux visages fermés, que de civils.

Certains étaient encore au front en début de semaine.

«Quand j’ai appris sa mort, mardi, j’ai paniqué, j’ai eu un vertige, une peur du vide, dit Hilaire Mbaye Adoum, un militant du Mouvement patriotiqu­e du salut, le parti présidenti­el, qui a fait 300 kilomètres dans la nuit pour être là ce matin. Je prie Dieu de nous laisser un autre président comme lui.» Son fils Mahamat Idriss Déby, à la tête du Conseil militaire de transition qui s’est emparé du pouvoir mardi, fera-t-il l’affaire ? «Son papa aussi a été petit. Il avait le même âge [38 ans, ndlr] quand il est devenu président. Mais il a bien grandi. Mahamat aussi peut gérer.»

Sous l’arc géant du monument de l’Indépendan­ce,

Emmanuel Macron a été placé à la droite du fils. Mahamat Idriss Déby, ex-commandant de la garde présidenti­elle, pur produit militaire, semble en effet aujourd’hui bien petit dans son grand fauteuil. Peut-être en contraste avec le souvenir de la haute silhouette de son père. La nuit dernière, le président français l’a longuement rencontré en tête à tête, dès sa descente d’avion. A-t-il approuvé cette succession familiale parfaiteme­nt anticonsti­tutionnell­e, dénoncée comme un «coup d’Etat institutio­nnel» par l’opposition et la société civile ? En public, Emmanuel Macron n’a en tout cas montré aucun signe de réprobatio­n. Son oraison funèbre exalte au contraire le «pacte de fraternité entre le continent africain et la France». «Nous sommes et nous serons à vos côtés, déclame-t-il. La France ne laissera jamais personne, ni aujourd’hui ni demain, menacer l’intégrité et la stabilité du Tchad.» Une phrase applaudie par l’assistance tchadienne en treillis alors qu’au nord, une rébellion menace toujours le pouvoir. Tout juste le président français appellet-il, immédiatem­ent après, à promouvoir «l’inclusion, le dialogue, la transition démocratiq­ue».

Transition. Les démocrates tchadiens qui rêvaient d’une nouvelle ère dans les relations entre Paris et N’Djamena après la mort d’Idriss Déby, «ami», «chef exemplaire et guerrier courageux» – les mots sont d’Emmanuel Macron –, en sont pour leur frais. L’Elysée parie clairement sur la continuité en soutenant le Conseil militaire de transition. Comme Hilaire, sans doute les diplomates et les militaires français ont-ils aussi été gagnés par la «peur du vide».

En coulisse, la France, ainsi que les membres du G5 Sahel, ont toutefois demandé des gages «d’inclusivit­é de la transition» de la part des putschiste­s. «Il faut faire de la place aux forces politiques tchadienne­s, afin de sanctuaris­er le processus et le mettre à l’abri d’un coup de force, indique un membre de l’entourage d’Emmanuel Macron. Un processus purement militaire n’y arrivera pas.»

Les premiers pas du Conseil militaire seront donc scrutés de près. Notamment la désignatio­n d’un Premier ministre civil, prévu par la charte de transition publiée mercredi. Nommer un cacique proche du pouvoir enverrait un désastreux signal de mauvaise foi. Mais quel opposant, même modéré, accepterai­t ce poste piège ? Et surtout, un nom suffira-t-il ? Le système Déby, une fois cassé, n’est pas certain de pouvoir être recollé.

Sans faire de déclaratio­n à la presse, le président français est reparti vers Paris à la mijournée. Au même moment, la dépouille d’Idriss Déby décollait pour Amdjarass, son fief du nord-est, à 1 000 kilomètres de N’Djamena. Il y sera inhumé aux côtés de son père. •

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Photo Issouf Sanogo. AFP A N’Djamena, vendredi.

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