Libération

La désunion fait la force ?

Une définition des primaires : un pour tous mais que quelques-uns pour un. Voilà pourquoi dans presque chaque mouvement on est pour et contre, en même temps.

- Par Mathieu Lindon

Si j’ai bien compris, pour la présidenti­elle, dans tous les partis ou presque, il y a ceux qui veulent une primaire et ceux qui n’en veulent pas. Toutes les raisons sont bonnes pour chacune des deux options. Des partisans LR de la primaire font remarquer que, s’il n’y en avait pas eu en 2016 et qu’on s’était fondé sur les sondages, Alain Juppé aurait été le candidat naturel, comme si cet exemple montrait à quelle catastroph­e Les Républicai­ns avaient échappé. Mais si Alain Juppé avait été le candidat de la droite, François

Bayrou s’y serait rallié, Emmanuel Macron aurait obtenu un score à la Benoît Hamon, et le meilleur d’entre nous aurait été élu président de nous tous et aurait peut-être choisi, pour changer un peu, Edouard Philippe comme nouveau Premier ministre. La droite, forte d’une majorité aux législativ­es suivantes, n’aurait pas trop à se plaindre aujourd’hui, quoi. Mais même Alain Juppé, dont plus personne ne voudrait désormais et qui luimême n’en veut plus, ils n’ont plus du tout ça, à droite. Ils n’ont plus que de petits baronnets qui sont aux anciens barons ce que les éléphantea­ux sont aux ex-pachyderme­s du Parti socialiste et comptent paradoxale­ment sur les régionales pour atteindre enfin une stature nationale. Il y a aussi ceux qui veulent une primaire pour flinguer les autres mais l’expérience montre qu’on peut s’entre-tuer sans elle, même si, c’est vrai, elle ne peut pas faire de mal de ce point de vue. Du côté de LR, le barrage républicai­n a un sens plus intime que pour le reste de la population. D’une façon générale, la primaire a un aspect pré-éliminatoi­re cruel, «vous êtes le maillon faible, au revoir».

A droite, on a l’impression qu’ils n’ont pas abandonné tout espoir de gagner. A gauche, ils semblent plus mus par une pureté olympique: l’essentiel est de participer, de faire moins pire que les autres. Mais arriver sur la piste plein de bandages dans une chaise roulante pour enthousias­mer les foules qui se sont fait porter pâles, il faut le moral. Ce qu’il y a de bien dans les diverses primaires, c’est de voir qu’en France on ne manque pas de gens bourrés de bonnes solutions et de courage pour résoudre les problèmes qui pourraient se poser à un si beau pays. Ils veulent juste qu’on leur laisse leur chance. Mais nous, n’a-t-on pas la nôtre ? C’est comme si, en France, les grands électeurs, c’était le peuple, et qu’il y avait aussi des petits électeurs qu’on ne convoquait que pour le bac blanc. Parce que ce n’est pas tout, une primaire, encore faut-il savoir qui y vote. Les écologiste­s, pour beaucoup, ne voudraient pas que des électeurs génétiquem­ent modifiés viennent s’en mêler. Et c’est vrai qu’à partir du moment où on n’est pas habilité à tous voter, c’est complexe de déterminer les exclus. D’autant que celui ou celle pour qui on n’a pas le droit de voter ce jour-là, il faudra quand même voter pour quelques semaines ou mois plus tard.

Côté La République en marche, on n’est pas du tout dans le «en même temps», sur ce coup : on est tout à fait contre la primaire et absolument pas pour. Il y a un candidat naturel qui s’appelle Emmanuel Macron, mais la nature est cruelle. C’est encore un manque du «en même temps» : il est bien sûr trop à droite pour la gauche mais aussi – ah, l’ingratitud­e humaine – trop à gauche pour la droite. Si j’ai bien compris, c’est à des réactions primaires d’hostilité qu’il risque de devoir faire face. •

Prochaine chronique le 5 juin.

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