Billet / La star, c’est le produit
Plus la publicité disparaît de nos écrans, plus elle envahit les films. A quand des affiches pour la marque de la moto dans «la Grande évasion»?
«Rien n’est sacré pour toi !» hurle Marion Cotillard à Adam Driver dans la bande-annonce d’Annette de Leos Carax, en salles le 6 juillet et en ouverture du Festival de Cannes. Alors que tout le monde se repassait les images du film, on a moins fait attention à un article de la BBC intitulé «Comment le placement de produit pourrait bientôt s’incruster dans les films classiques». En résumé, il est déjà possible de diffuser numériquement des marques et des logos dans des séries (c’est le cas en France pour Skam): la prochaine étape sera de le faire dans les films du patrimoine. Une marque de spiritueux dans Casablanca ? Un smartphone chez Chaplin ? Le marché est vertigineux : il a rapporté, tous supports confondus, 20,57 milliards de dollars en 2019.
Compte à rebours.
La réclame au cinéma n’est pas une nouveauté et peut virer à l’ubuesque, comme pour le James Bond Mourir peut attendre, pour lequel il faudra retourner des scènes parce qu’un modèle de téléphone est déjà obsolète à cause du report interminable de la sortie en salles. Un rapport publié par l’agence d’analyses Raconteur indique que «le futur de la publicité est l’absence de publicité». Autrement dit: comment mobiliser notre attention de consommateur érodée par le bombardement d’informations, alors que la coupure de pub a été rendue inopérante par le replay et que, face aux annonces obligatoires avant une vidéo, on regarde plus le compte à rebours («Vous pouvez ignorer cette vidéo après dix secondes») que le spot lui-même ? L’agence de publicité Mirriad, spécialiste de cette technique, vante ainsi son «intelligence artificielle unique, immergeant naturellement une marque dans les épisodes en postproduction en identifiant les moments optimaux pour qu’elle apparaisse». L’oeuvre est donc réduite à un album de coloriage pour enfant, où il faut s’appliquer à remplir les blancs au bon endroit.
Cette crainte soulevée par la BBC de voir débarquer des panneaux publicitaires dans la Grande évasion ressort à chaque fois qu’un changement technologique menace notre rapport au passé, que ce soit la colorisation des films classiques dans les années 90 ou la résurrection numérique de stars défuntes. Qui se souvient de Paula Abdul dansant aux côtés de Gene Kelly en 1992 pour un breuvage gazeux édulcoré? Ou de Steve McQueen refaisant la course-poursuite de Bullitt en 1997 dans une voiture bien différente? A priori, personne. La preuve que si notre mémoire rame à court terme, il y a encore de l’espoir sur le long. Ressortir un simple cliché d’Alain Delon jeune, à l’époque de la Piscine,
pour illustrer une affiche pour un parfum sera toujours plus glamour que de caser le même produit à l’écran dans le film. Pour les marques assez téméraires pour envahir ce territoire, songeons au casse-tête de synergie, aux anachronismes.
Révisionnistes.
D’autant qu’avant la publicité, les premiers révisionnistes du cinéma sont souvent les cinéastes eux-mêmes (comme Wong Kar-wai, restaurateur de ses films récents). Dans Once Upon a Time in Hollywood, lorsque Tarantino incruste Leonardo DiCaprio à la place de McQueen dans la Grande évasion, c’est d’abord la marque Tarantino qu’il défend, la marque de tout ce que le cinéma permet.