Métamorphoses
Des albums de remixs qui osent des relectures épatantes.
Opération pour ravaler une façade en mauvais état ou manipulation dance à visée commerciale, l’album de remixs provoque plus souvent des soupirs que des cris de joie. Il existe cependant quelques exceptions.
1 Paul McCartney
McCartney III Imagined (2021)
Sur le papier, cela ressemble à une mauvaise idée. Partageur, l’intouchable Sir Paul confie les clefs de son dernier, et plutôt très bon, album à une pléiade d’artistes chargés d’en livrer leur vision. Comme la liste des potes de Macca est redoutablement hétéroclite (de Beck à Khruangbin en passant par Josh Homme ou St Vincent) et, surtout, nullement spécialisée dans cet exercice délicat, on frémit. Bien à tort. Loin d’être le recueil indigeste redouté, le disque révèle son lot de bonnes surprises. Il y a ceux, comme le tandem Ed O’Brien (Radiohead)-Paul Epworth, le jeune gandin Dominic Fike ou le leader de Queens of the Stone Age, qui donnent carrément dans la reprise inventive. Et parmi ceux qui se contentent de remixer, on remarque le futé 3D de Massive Attack qui ajoute un gros grain de sel créatif sur plus de dix minutes à une chanson (Deep Deep Feeling) qui pourtant à la base partait déjà en vrille. Plus on est de fous…
2 The Cure
Mixed Up (1990)
Sorte de pont entre l’Angleterre sombre et froide des eighties et celle qui s’est colorée la décennie suivante par la grâce de l’acid house, cet album étrange de la bande de Robert Smith est un best-of en mode mi-déconstruction, mi-transition. On y retrouve les versions longues de leurs principaux hits et, surtout, des versions retravaillées de Close to Me, In Between Days ou A Forest sur le mode «Je viens de gober un taz, je suis peace, tout va bien». Surprenant de la part des auteurs du classique Pornography, un des albums les plus plombés de tous les temps. Si une grande majorité de ces nouvelles versions sont l’oeuvre de Mark Saunders (sorte d’OS du remix de l’époque), on repère au fil des crédits la participation de pointures électroniques comme le Franco-New-Yorkais François Kevorkian ou le spécialiste tout-terrain Paul Oakenfold, capable de remixer aussi bien The Cure que Mylène Farmer. Tout-terrain, on l’a dit.
3 Mylène Farmer
Dance Remixes
(1992)
Justement, à la fin des années 80, le samedi soir du côté du Macumba ou du Metropolis, les premiers tubes de notre french diva, de Maman a tort à Sans contrefaçon en passant par Libertine, ont fait le bonheur des pistes des boîtes de nuit. Mais souvent dans leurs versions originales, pas spécialement taillées pour réaliser des toupies sur la tête. Un succès sous boules à facettes qui donne envie à Mylène et à son compositeur Laurent Boutonnat d’aller encore plus loin, comme en témoigne cet album (sans doute un des premiers du genre pour une artiste de variétés) qui alterne de pures manipulations électroniques avec des versions longues dopées aux basses. Avec des bizarreries comme le slow Regrets en mode «Extended Club Remix», un fameux duo avec Jean-Louis Murat qui permet à l’Auvergnat d’entrer pour la première et dernière (?) fois dans une discothèque. Avec une chanson, naturellement.
4 Gil Scott Heron & Jamie XX
We’re New Here (2011)
C’est l’un des rares albums de remixs réalisé par une seule personne. Une idée originale qu’on doit à Richard Russell, le patron du label XL, qui avait déjà porté à bout de bras Gil Scott-Heron durant l’enregistrement de son album testamentaire I’m New Here sorti en 2010. Le poète américain, précurseur du rap à l’existence chaotique, n’avait plus que quelques mois à vivre lorsque est sortie cette relecture aventureuse un an plus tard. Excellent DJ et responsable des machines du groupe de rock anglais attentif à la scène électronique The XX, Jamie Smith a incorporé des éléments de la scène dubstep et UK garage, très dynamique à l’époque, à un album dont l’instrumentation était jusque-là plus classique. Sans chercher à métamorphoser le slam crépusculaire de l’Américain en machine à danser, il lui donne une nouvelle impulsion moderniste.
5 The Auteurs vs µ-Ziq (1994)
La preuve que le remix peut être un exercice radical. On paierait cher pour savoir comment est née l’idée de confier les bandes de Now I’m a Cowboy, le deuxième album de The Auteurs à Mike Paradinas, alias µ-Ziq… et de lui donner carte blanche. µ-Ziq fait table rase du rock indé un peu nerveux du quintette mené par le chanteur Luke Haines au profit de six pistes d’electronica abstraite et concassée, parfois mélodique, souvent déstructurée. Il faut savoir tendre l’oreille pour saisir çà et là dans les relectures de Chinese Bakery et Underground Movies des bribes de guitares ou une ligne mélodique d’origine. S’il n’est pas certain que le résultat ait plu aux amateurs du groupe, cet objet sonore est référencé aujourd’hui au seul nom de µ-Ziq sur les plateformes de streaming. Comme un aveu d’échec.