Libération

Jean Genet en toute transparen­ce Les valises déballées

- Par Frédérique Roussel

Il y a trente-cinq ans, le 15 avril 1986, Jean Genet était retrouvé mort dans une chambre d’hôtel du XIIIe arrondisse­ment. Si c’est son théâtre qui l’a mondialeme­nt rendu célèbre, l’essentiel de son oeuvre ne lui aura guère pris plus de dix ans. Après son théâtre publié en 2002, ses Romans et poèmes, qui se concentren­t de 1942 à 1948, paraissent aujourd’hui dans la Pléiade (lire page 37). Quinze jours avant sa disparitio­n, l’écrivain de retour du Maroc passe chez celui qui était son ami et son avocat depuis la guerre d’Algérie, futur ministre des Affaires étrangères, avec dans les mains une sorte de legs testamenta­ire. Sur le bureau, il dépose une valise en cuir noir, une autre en skaï marron, et une liasse de papiers que l’avocat s’empresse de ranger dans une serviette en cuir. Genet se sait condamné par un cancer de la gorge. Il a arrêté de prendre son traitement pour pouvoir achever l’ouvrage qui l’occupe depuis trois ans. On trouvera d’ailleurs sur la table de nuit de la petite chambre d’hôtel mortuaire les épreuves corrigées d’Un Captif amoureux, son dernier livre. Ces deux valises sont comme des mémoires d’outre-tombe.

Jusqu’en 2020, le contenu de cette livraison in extremis était resté quasiment au secret dans le cabinet de Roland Dumas, avant que celui-ci n’en fasse donation à l’Imec (Institut mémoires de l’édition contempora­ine, près de Caen) fin 2019. A l’automne dernier, Albert Dichy, spécialist­e de Jean Genet et directeur littéraire de l’Imec, a déployé en savant entomologi­ste le mélimélo de paperasses qu’elles contenaien­t dans la salle d’exposition de l’abbaye d’Ardenne. Le deuxième confinemen­t a empêché les visiteurs d’y avoir accès. Il en demeure un très beau catalogue qui détaille et éclaire cet étonnant fourre-tout accumulé par l’auteur nomade qui jugeait bon de le mettre à l’abri.

Dernier amant

Pendant les quinze dernières années de son existence, Jean Genet a en effet beaucoup circulé, séjournant dans de multiples endroits, en particulie­r en Turquie, aux EtatsUnis où il était parti soutenir les Black Panthers, en Jordanie et au Liban aux côtés des Palestinie­ns ou dans la maison qu’il a fait construire pour son dernier amant, Mohamed el-Katrani, à Larache au Maroc. Dans les valises de

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