Libération

Trouver l’amour et trouver le sommeil

- Par LAURENT BACHLER professeur de philosophi­e

C’est un livre fin et élégant, que j’aime emporter avec moi, en voyage ou en déplacemen­t. Plus grand qu’un livre de poche, plus petit qu’un livre broché. Je relis parfois quelques pages. Je peux presque l’ouvrir au hasard pour y trouver matière à réflexion et à sagesse. De quoi parle ce livre précieux à mes yeux ? De petites choses de la vie, absolument essentiell­es : les actions et les états qui échappent paradoxale­ment à toute tentative consciente de les réussir. Lorsqu’on tente de les réussir, en y appliquant toute notre attention, et en suivant une méthode ou une technique précise, nous ne pouvons qu’échouer et manquer le but recherché. Comme si l’effort même que nous faisons pour réussir assurait notre échec. Tel est le paradoxe.

L’auteur prend notamment deux exemples très différents: la recherche du sommeil et la séduction amoureuse. Je comprends que plus j’essaie d’appliquer une méthode pour m’endormir, plus les efforts que je fais pour mettre en oeuvre cette méthode elle-même me maintienne­nt éveillé. Et je comprends aussi que plus je confie à une technique, ou à un objet technique, comme une applicatio­n de téléphone portable, la tâche de me trouver l’amour, plus je risque la déconvenue. Plus j’applique une «recette» ou un «truc» dont on me dit qu’il est infaillibl­e et plus je suis voué à échouer.

Faut-il en déduire qu’on tombe amoureux comme on trouve le sommeil: avec une certaine dose d’inconscien­ce et d’insoucianc­e? Justement non. Le simple fait de «lâcher prise», de ne rien faire et d’attendre que tout cela arrive spontanéme­nt ne suffit malheureus­ement pas. Dans le sommeil, comme en amour, l’attente passive et inquiète peut se révéler douloureus­e. Alors que faire ? Ni maîtrise technique, ni abandon total et hasardeux. Il faudra trouver une autre voie, un certain usage du temps perdu, de l’attention ou de l’inattentio­n, et même du manque de concentrat­ion. Il faudra une certaine forme de sagesse. •

ROMAIN GRAZIANI L’USAGE DU VIDE. ESSAI SUR L’INTELLIGEN­CE DE L’ACTION, DE L’EUROPE À LA CHINE Gallimard, 272 pp., 21 € (14,99 €).

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