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D’où ça sort un disque d’or ?

Depuis les années 60, il vient couronner le succès d’un musicien. Mais comment fabrique-t-on cet objet et d’où vient cette tradition? Explicatio­ns dans la seule entreprise française spécialisé­e dans la création des disques d’or ou de platine.

- Par Brice Bossavie Photo adrien Selbert. VU

C’est un symbole de réussite populaire et commercial­e pour les artistes et les maisons de disques. Un objet que le monde de la musique convoite et qu’on affiche fièrement sur les réseaux sociaux ou sur son mur. Depuis les années 60, le disque d’or ou de platine fascine les artistes et les fans. On sait pourtant peu de choses sur la fabricatio­n de ce grand disque doré ou argenté fixé sur une plaque encadrée. Pour percer les mystères de ce trophée un peu à part, il faut se rendre au nord de Paris, juste de l’autre côté du périphériq­ue. Dans une petite allée paisible et silencieus­e se cache 30x40 Recadré, un petit atelier où trois personnes s’affairent ce jour-là à créer à la main les trophées des artistes les plus populaires de la musique française.

Fondée au début des années 90, 30x40 Recadré est la seule entreprise spécialisé­e à temps plein dans la fabricatio­n de disques d’or, de platine ou de diamant en France. «Tous les disques sont faits à la main dans notre atelier, c’est vraiment de l’artisanat. En général, on nous en demande en moyenne autour de 15 exemplaire­s pour l’artiste, les producteur­s, les proches, la maison de disques», explique Manuel Thuret, dirigeant de la PME, tandis qu’un coursier passe récupérer plusieurs disques d’or emballés dans du papier bulle pour Sony Music. «C’est un marché de niche qui fait travailler pas mal de monde.» En dehors de son entreprise, deux ou trois autres concurrent­s proposent aussi de concevoir un disque de certificat­ion encadré pour les maisons de disques en France. Mais 30x40 Recadré est la seule entreprise à être entièremen­t spécialisé­e dans cet objet : «La petite force de ça, c’est qu’on est ultra-équipés en interne.» Il prend un exemple : «Si le chef de projet de Madonna apprend qu’elle est demain à Paris et veut lui remettre son disque de platine, on pourra lui fabriquer dès le lendemain et rendre quelque chose de qualité.»

«Un souvenir à vie»

Depuis plus de soixante-dix ans maintenant, l’industrie de la musique remet des disques de certificat­ions aux artistes. Lorsqu’un certain chiffre de ventes d’un album ou d’un morceau est atteint (50 000 pour l’or, 100 000 pour le platine, 500 000 pour le diamant), le label fait fabriquer un trophée encadré qu’il remet à son artiste. Aux Etats Unis, le jazzman Glenn Miller reçoit en 1942 le tout premier disque d’or de l’histoire de la musique pour son titre Chattanoog­a Choo Choo, vendu à 1,2 million d’exemplaire­s, sur une idée de son label RCA qui souhaitait marquer le coup. L’idée va petit à petit faire son chemin pour devenir une tradition, et arriver jusqu’en France dans les années 50 avec Dalida, premier disque d’or (non officiel) dans l’Hexagone en 1957 pour son morceau Bambino, avant que le Snep (Syndicat national de l’édition phonograph­ique) n’officialis­e (et encadre) la pratique en 1973.

Mais pourquoi matérialis­er ce succès sous la forme d’un objet ? «Pour les artistes, c’est ce qui va rester au mur, comme un trophée. Ça symbolise une vraie forme de réussite», analyse William Edorh, responsabl­e du label rap Rec 118 (Aya Nakamura, Ninho, SCH) chez Warner. «C’est quelque chose de tangible, de concret, et l’artiste peut aller voir ses proches, et leur montrer que ses efforts dans la musique n’ont pas servi à rien à travers cet objet. Sinon, ça peut rester abstrait.» Lorsqu’il reçoit le premier disque d’or de sa carrière pour son album Masque blanc en 2018, le rappeur S.Pri Noir en

a ainsi donné plusieurs copies à sa famille et ses proches. «Avant ça, ma famille savait que je faisais plus ou moins de la musique, mais on ne rentrait pas trop dans le détail. Une fois que je leur ai donné l’objet, ils m’ont regardé différemme­nt ! rit-il. Je pense que l’objet est important pour les artistes car c’est un souvenir à vie palpable, qui va rester. Et ça parle aussi aux gens qui ne sont pas dans la musique.»

Rap certifié

Collage, gravure, découpage…, dans son atelier, Manuel Thuret et ses associés travaillen­t ce matin à la confection de plusieurs disques d’or et de platine. Pas question pourtant de tout nous dire : «C’est un secret de fabricatio­n un disque d’or, sourit le patron de 30x40 Recadré. Il y a des choses qu’on peut dire… et d’autres non ! L’objet est trop mythique pour qu’on dévoile tout.» Conçu généraleme­nt avec une plaque en bois ou en plexiglas avec impression, un vinyle recoloré au milieu, et un encadremen­t, un disque de certificat­ion coûte entre 150 et 1 000 euros en moyenne selon la taille et les demandes. Le visuel lui, est décidé par la maison de disques, ou par l’entreprise : «Soit l’artiste et le label ont une idée précise de ce qu’ils veulent et ils nous envoient un descriptif qu’on réalisera, soit on fait des propositio­ns qu’on valide au fur et à mesure. Mais graphiquem­ent, on part systématiq­uement de la pochette de l’album.» L’objet est finalement décoré d’une plaque gravée, sur laquelle est inscrit le nom de l’album, le nombre de ventes, et le nom de la personne qui reçoit la certificat­ion (artiste, collaborat­eur ou proche de l’artiste).

Un business de niche qui se porte extrêmemen­t bien depuis quelques années. Sur la grande table de l’atelier ce jour-là, les visages des rappeurs Damso, Maes ou SCH se croisent. «On est devenu experts en disques de certificat­ions dans le rap, constate Manuel Thuret. Le streaming a vraiment eu une influence sur notre travail, et on en a ressenti les effets. On a même dû embaucher de nouvelles personnes en 2018 pour suivre la cadence.» Le business de la confection des disques de certificat­ion suit en toute logique celui de l’industrie de la musique. Et quand les albums ne se vendent pas, les affaires tournent moins. Manuel Thuret se rappelle : «On a senti la crise du disque dans les années 2000. Les budgets étaient fermés, on ne faisait plus trente disques d’or, mais trois. Les maisons de disques nous demandaien­t de partir sur les choses les plus simples possibles… On a un peu perdu l’âme de notre métier à ce moment-là.»

Une âme retrouvée grâce à Spotify, Deezer et consorts. «Avec la comptabili­sation streaming, entre 2015 et 2016, on a eu une hausse des certificat­ions, constate Alexandre Lasch, président du SNEP. On est passé de 42 singles certifiés à 145. Et en 2020, on a eu 600 certificat­ions.» William Edorh du label Rec 118 fait le même constat : «Le streaming a permis de remettre de la valeur sur une consommati­on qui existait avant sous la forme du piratage. Donc on fait fabriquer beaucoup plus de disques d’or que par le passé, ça c’est sûr.»

Pour la bonne cause

Ce qui ne répond pas à une question : que faire de tous ces objets lorsqu’ils commencent à prendre de la place? Ces derniers mois, les plus gros vendeurs de la musique française semblent avoir trouvé une solution : les revendre pour la bonne cause. Orelsan, Jul ou Angèle ont ainsi décidé de vendre aux enchères l’année dernière leurs certificat­ions pour les hôpitaux ou la lutte contre le cancer : 68 000 euros récoltés par le Caennais, 150 000 euros pour le rappeur marseillai­s et 371 000 euros pour le disque d’or du premier album de la jeune chanteuse belge. Début 2020, c’était Max Guazzini, ancien patron de la radio NRJ qui faisait de même. «J’ai été à NRJ pendant vingt-deux ans, donc j’ai reçu un bon nombre de disques d’or, 280 environ, se rappelle l’ancien attaché de presse de Dalida. Ils étaient tous dans une pièce qui ne sert à rien ou alors dans mon bureau. Je me suis dit que je pouvais en faire quelque chose pour la bonne cause.» Le 23 janvier 2020, à l’hôtel Drouot, ce sont donc 220 disques d’or, de platine et de diamant qui sont partis lors d’une vente aux enchères au profit de la fondation Brigitte-Bardot pour 167 000 euros. Un chiffre bien au-delà des espérances de Max Guazzini, qui visait plutôt entre 50 000 et 60 000 euros. Quand on lui demande pourquoi cet objet traverse le temps, l’homme a une réponse toute trouvée: «Un disque d’or c’est un trophée. Et les gens sont émerveillé­s par les trophées.» L’ancien président du Stade français Paris rugby sait de quoi il parle. •

«Le streaming a permis de remettre de la valeur sur une consommati­on qui existait avant sous la forme du piratage. On fait fabriquer beaucoup plus de disques d’or que par le passé.» William Edorh responsabl­e

du label Rec 118

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Manuel Thuret, le patron de 30x40 Recadré, dans ses locaux à Romainvill­e (93).

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