Les élus RN comme chiens et chats sur la cause animale
A l’instar d’une Marine Le Pen qui ne fait pas mystère de son amour pour les félins, le parti d’extrême droite tente de séduire les défenseurs des animaux. Sans pour autant froisser les chasseurs ni remettre en cause l’industrie agroalimentaire.
De quoi diable parler à l’orée d’une troisième élection présidentielle, quand on s’est délesté de pans entiers de son programme historique et qu’on n’a pas franchement travaillé pendant les cinq dernières années? De bien-être animal, apparemment, laisse entendre Marine Le Pen dans la presse à son retour de vacances. La préoccupation de la cheffe du Rassemblement national pour les bêtes peut certes paraître secondaire au regard de ses deux amours pour la sécurité ou la lutte contre l’immigration, elle ne date pas d’hier. Avant 2017, l’ex-eurodéputée RN Sophie Montel avait déjà créé un collectif visant à abreuver la patronne de notes sur la question. Avec un certain succès auprès des associations spécialisées : «Cela fait longtemps que le parti a toujours une petite ligne dans son programme, ils avaient identifié une préoccupation dans l’électorat», reconnaît Samuel Airaud, de l’association L214. Qui observe que le sujet a été laissé en jachère depuis le départ de Montel du RN en 2017 : «Depuis, ils ont perdu leur avance», poursuit-il. Au risque de laisser filer une partie de son électorat ? Pour y remédier, un groupe de travail thématique avec un référent planche déjà sur le sujet. En ligne de mire : les presque 500 000 voix du Parti animaliste lors des européennes de 2019. Lesquelles ne seraient pas le fait de brebis écologistes égarées, selon Jérôme Fourquet, auteur d’une étude sur le vote animaliste pour la Fondation Jean-Jaurès. «Les partis écolos en France, quand ils s’intéressent à la question animale, c’est plutôt aux baleines et aux dauphins – c’est-à-dire en lien avec le réchauffement climatique. Les gens qui ont voté animalistes pensent aux chats et aux chiens», résume le sondeur. Autrement dit: les animalistes seraient solubles dans le vote frontiste. Cela n’est pas incongru : de Bruno Bilde à David Rachline, en passant par Brigitte Bardot, nombreux sont les cadres et compagnons de route du mouvement à afficher une sensibilité sur la question. A commencer par Marine Le Pen, dont l’amour des chats est en passe de devenir proverbial. «La pensée animale du RN, c’est la pensée “caniche à sa mémère”», persifle Stéphane François, politiste spécialiste de la pensée écologique d’extrême droite. Façon de dire que cela ne va pas très loin. De fait, la remise en cause de l’industrie agroalimentaire, de la corrida ou de la chasse est absente du programme frontiste – pas question de froisser une partie de cet électorat, portée sur le RN. Mais à trop vouloir jouer du «en même temps», pour ne fâcher personne, Marine Le Pen ne risque-t-elle pas de mécontenter tout le monde ? «Qui trop embrasse mal étreint», met en garde Thierry Coste, lobbyiste en chef des chasseurs.
La chasse
Quelque chose s’est cassé entre le Rassemblement national et les chasseurs – par ailleurs ardemment dragués par l’ex-LR Xavier Bertrand et choyés par le chef de l’Etat. Alors qu’il fut un temps où Jean-Marie Le Pen allait répétant : «Ma génétique me rend cynégétique», sa fille, elle, ne semble guère gouter le tir aux lapins. Au contraire : «A titre personnel, je suis contre la chasse à courre», a même lancé Marine Le Pen le 9 mars, jugeant qu’elle «exprime une cruauté qui n’est pas nécessaire». Le grand manitou du lobby de la chasse, Thierry Coste lui en garde rancune. «Le chasseur de base comprend très vite que quand on fait des distinguos entre les types de chasse, on commence par une pour supprimer les autres», s’indigne-t-il, mettant en cause «le rapprochement entre certaines figures du parti comme Bruno Bilde ou David Rachline avec les défenseurs de la cause animale de type Brigitte Bardot. Et s’il y a bien un épouvantail, c’est celui-là», s’émeut le lobbyiste. Au niveau local, les listes RN font pourtant la part belle aux chasseurs. Dans les Hauts-deFrance, par exemple, Paul-Henry HansenCatta, ex-patrons des chasseurs de l’Aisne, représente les intérêts de ses compagnons de loisir. «Nos ennemis disent que le RN est antichasse, moi je suis là pour dire que c’est faux, rassure le conseiller régional, aux accents tout de même menaçants. Si le RN prenait une position abolitionniste sur une pratique de chasse, je quitterais le mouvement.» En attendant, il ne siège plus au bureau national du RN depuis juillet – un choix sans rapport avec son amour de la gâchette, assure-t-il. Tout en reconnaissant : «Je le vois autour de moi. Un doute s’est instillé chez ceux qui votent comme moi, à cause des propos de Marine.» C’est tout le problème d’un parti ultra-centralisé : la base a beau être pro-chasse dans son immense majorité, il suffit que la patronne tousse pour que les électeurs craignent d’attraper froid.
Les chats
La préférence de Marine Le Pen pour les chats est tout sauf un secret, la cheffe du RN en a même fait un élément de sa stratégie de «normalisation». Elle pose régulièrement avec certains de ses félins pour adoucir son image. Chose à savoir : elle n’apprécie que les animaux de race. Car sa passion va au-delà du petit hobby : la candidate à la présidentielle a passé un diplôme d’éleveuse et dispose de son propre affixe, son nom d’élevage, inscrit au Loof, le Livre officiel des origines félines. Cela lui permet de produire plusieurs portées par an et de les vendre avec un pedigree. Le sien se nomme «de l’Ecuyer», particule incluse, en référence à l’une des sociétés familiales, la SCI Pavillon de l’Ecuyer. Chez Marine Le Pen, à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), on
trouve ainsi quelques bengals, et aussi un mau égyptien, lequel répond au nom de Kerhillio. La bête à poils a une histoire indirectement tragique : au départ, il y avait à sa place un petit savannah, matou rare originaire d’Amérique. Il avait été offert à Marine Le Pen en 2014 par l’ensemble des députés européens FN élus au Parlement à Bruxelles, en guise de remerciement. Une idée de Louis Aliot. La bête, qui avait coûté à l’époque dans les 5 000 euros, en raison de sa rareté en France, n’avait pas vécu longtemps : elle avait été retrouvée morte quelques jours après son achat, sans doute renversée par une voiture, pas loin de la résidence de sa patronne. Les participants à la cagnotte avaient été informés de la mauvaise nouvelle. Ils venaient de recevoir un petit cadeau: une photo de Marine Le Pen posant avec son chaton sur un fond rose. Le mau est venu en remplacement. L’histoire pourrait paraître anecdotique, si la place des chats n’était pas si importante dans la vie de Marine Le Pen. Elle en a fait un (m)atout politique. Exemple : leur passion commune pour les minets a rapproché Marine Le Pen de l’ex-LR Thierry Mariani, avec qui elle a longtemps échangé des photos de chats, avant qu’il ne rallie le Rassemblement national. Les deux politiques partagent depuis ce point commun d’être propriétaires de deux soeurs somalis d’une même portée.
La corrida
Quel sujet peut donc pousser Robert Ménard et Brigitte Bardot à se fâcher tout rouge ? Certainement pas le nombre de mosquées en France : tous deux sont d’avis qu’il y en a trop. Sur la corrida, en revanche, les deux compagnons de route du RN sont à couteaux tirés, et l’ont fait savoir en août. Lui, le défenseur, par une volée d’affiches la visant nommément, elle, l’abolitionniste, en lui répondant par un tweet assassin. Certes, la controverse ne fracture pas le seul camp des nationalistes. Mais dans un parti qui érige la tradition en valeur quasi sacrée, le débat est peut-être plus délicat qu’ailleurs. Le maire de Béziers lui-même est tiraillé par des doutes shakespeariens entre son souci du bien-être animal (ni lui ni son épouse ne mangent de viande et leurs enfants sont végans) et son attachement à la culture locale. «Est-ce qu’on vit bien ces contradictions ? Non, répond Ménard. Ma femme et moi sommes toujours à la limite du supportable avec la corrida. Mais à Béziers –une des sept villes taurines de grande catégorie – c’est un vrai événement culturel.» Pour atténuer la souffrance de l’animal, Ménard déclare ne financer aucune école taurine sur fonds publics. Non loin de là, à Beaucaire, Julien Sanchez (RN) louvoie pour éviter de trancher: il interdit les corridas mais autorise les novilladas –qui se terminent aussi par la mise à mort des bêtes. A la tête du parti, aussi, les goûts diffèrent. Louis Aliot ne rechigne pas aux spectacles taurins. Marine Le Pen, elle, n’y assiste jamais quand elle rend visite aux Ménard. Conséquence: les parlementaires sont libres de leur vote sur ce sujet précis. Quant au programme, le RN s’en est tiré en 2017 par un «en même temps» tout macronien: pas d’abolition de la corrida mais ouverture d’un grand débat parlementaire sur le sujet. Essayer de ne se fâcher avec personne… à défaut de contenter tout le monde.
élevage-abattage
Le RN n’est jamais autant l’ami des animaux que lorsque ceux-ci servent de prétexte à stigmatiser certains segments de la population. Le discours frontiste sur le bien-être animal va donc généralement de pair avec la dénonciation de certains abattages rituels, au premier rang desquels le rite hallal. Mais cette face émergée de l’iceberg ne rend pas justice à un engagement non feint de certains lepénistes. L’eurodéputée Dominique Bilde est ainsi très investie sur la question du transport des animaux. «C’est un vrai problème de santé publique qui part de la maltraitance du voyage et s’étend à toute l’industrie», s’émeut la mère de Bruno Bilde (lui-même réputé sensible à ces questions), très proche de Marine Le Pen. A côté d’elle, d’autres parlementaires se sont saisies du sujet au niveau européen, parmi lesquelles Aurélia Beigneux ou Annika Bruna. Mais les bonnes intentions ne poussent pas bien loin la remise en cause de l’industrie agro-alimentaire. «Cela n’a pas l’air d’être un sujet pour eux alors qu’en plus de la souffrance animale, la souveraineté alimentaire devrait faire partie de leurs priorités», s’étonne Samuel Airaud, de l’association L214. Même prudence chez Hervé Juvin, penseur de l’écologie identitaire (appelée localisme): «Qu’il y ait un jour sans viande à la cantine, je n’en ferai pas une polémique, mais il ne s’agit surtout pas de diaboliser la filière viande», affirme le conseiller régional. Qui résume sa pensée: «Le discours punitif des écolos, je le refuse. Mais l’objectif est un peu le même.» A condition de ne pas le crier trop fort : le RN a longtemps surjoué son opposition aux «bobos végans». •