«Serre-moi fort», du mélo dans le gaz
Mathieu Amalric explore le thème du deuil entre road-trip, chronique familiale et dérive fantasmatique.
Le ressassement est la forme privilégiée du deuil, qu’il soit d’un être ou d’un état. C’est aussi l’un des stigmates de la folie, et Serre-moi fort, le mélo signé Mathieu Amalric, lui emprunte sa manie de sillon inlassablement recommencé et recomposé. Son montage saccadé raboute les éclats de vie d’une famille à laquelle la mère (jouée par la délicate Vicky Krieps, découverte dans Phantom Thread) n’a plus accès, pour une raison que les spectateurs devineront plus ou moins rapidement, mais qui continue de se dérouler, les enfants passant à l’adolescence, les crises succédant aux joies de l’enfance. Que cette élucidation n’arrive pas au dernier moment et ne joue pas sur un suspense déplaisant est ce que Serre-moi fort a de plus honnête et élégant. Assister à des scènes qu’on sait dès lors fantasmées s’apparente en revanche trop souvent à l’expérience ennuyeuse d’écouter quelqu’un raconter ses rêves : c’est long et l’on reste en dehors. Serre-moi fort mêle ainsi road-trip et chronique familiale (petit-déjeuner avalé en vitesse avant l’école, gammes au piano, engueulades…) sur fond de regrets et de «si seulement» rendus avec deux qualités d’image, l’une très nette, l’autre plus nébuleuse, figurant le délire et le réel (pas forcément de la manière attendue). Cette avancée à deux registres donne quelque chose de volontairement déséquilibré et malade à l’ensemble, qui pourra séduire ou irriter, c’est selon, tout comme les morceaux de piano lancinants qui nous ont tapé sur le système. Mais peut-être que le malheur insondable auquel Serre-moi fort entend très ambitieusement donner forme est trop immense pour qu’on ait bien voulu y accéder ; tout juste y a-t-il quelques instants où l’on a emboîté le pas à Clarisse et vu l’émotion poindre.
Serre-moi fort de Mathieu Amalric avec Vicky Krieps, Arieh Worthalter… 1 h 37.